Durant les quelques mois où elle fut mince, la ronde pût constater que son entourage la préférait grosse. Au début, ses copines l'encourageaient. Et puis, petit à petit, les remarques ont fusé. "Tu as mauvaise mine tu sais", "franchement, je ne suis pas sûre que ton visage soit fait pour être si maigre, ça te vieillit". "Ce n'est plus toi, on ne te reconnait plus"...
Bien sûr, certaines de ces réflexions partaient d'une bonne intention. Ses amis s'inquiétaient de la voir fondre. Mais la ronde réalisa également qu'en changeant de corps, elle transgressait un ordre bien établi. Elle avait jusqu'alors été un faire valoir pour les plus minces et plus jolies qui l'entouraient. Une copine sympa et un peu enveloppée présente bien des avantages. Elle n'est pas dangereuse, ne fait pas d'ombre, est toujours prête à écouter les histoires d'amour de celles qui ont le privilège d'en vivre.
Mais là, subitement, la ronde passait de l'autre côté. Et puis avec ce régime, "elle n'était vraiment plus très drôle". Enfin bref, vraiment, vivement que cela lui passe, semblaient penser tous ces bons amis. D'ailleurs, quand elle se mit à reprendre ses kilos, tous lui dirent à quel point ils la préféraient ainsi. "Oui, vraiment, on te retrouve. Sans tes bonnes joues, on t'avait perdue..."
Ce qu'ils ne voyaient pas, c'est qu'elle, elle aurait donné un bras pour rester mince. Que ses bonnes joues, elles les haïssait depuis toujours et que franchement, elle se sentait tout à fait elle-même dans ce nouveau corps. Ce qu'ils ne comprenaient pas, c'est qu'elle n'était peut-être pas très drôle en sylphide, mais qu'elle était bien plus heureuse. Peut-être qu'en fait, ils l'avaient compris. Mais peut-être que ça ne les arrangeait pas vraiment.
D'ailleurs, il faut l'admettre, lorsqu'une de ses congénères se met au régime, la ronde elle même se surprend parfois à espérer que ça ne marche pas. Aurait-on toujours besoin qu'une plus grosse que soi ?