A la demande générale de mes milliers de lecteurs de la blogosphère, suite et fin de mon expérience aux limites des portes de la mort...
16h00: Je prends le taxi pour Roissy.
17h00: 69 euros pour faire Porte d'Italie-Roissy. 450 francs.
17h01: C'est décidé, après avoir donné ma démission de mon métier dangereux je fais taxi.
17h05: Je suis à Roissy. C'est comme si quelqu'un serrait très fort ma poitrine. Je prends direct deux quarts de Lexomil.
17h07: Le lexo ne me fait rien. Je respire mal. J'ai peur.
17h12: Je reprends un quart.
17h24: J'enregistre mes bagages. On m'explique que tout ce qui est liquide doit être rassemblé dans un sac de congélation. Rapport à la possibilité de fabriquer une bombe à partir d'un tube de dentifrice. C'est fou comme on perd peu à peu toutes nos libertés. Ce climat de répression est insupportable.
17h30: En même temps je me demande s'il n'est pas mon devoir de signaler que cet homme là-bas, d'origine moyen-orientale, a un comportement étrange. Il n'arrête pas de LIRE son journal.
17h32: Marine Le Pen sors de mon corps.
17h45: On passe au détecteur de métal. Je suis contre la délation mais je ne peux pas faire comme si je n'avais pas vu que la vieille dame devant moi a INTENTIONNELEMENT oublié d'enlever sa ceinture alors que ça nous a été très EXPLICITEMENT demandé. Si tout le monde n'y met pas un tout petit peu du sien, il ne faudra pas avoir l'air surpris quand dans une heure on ira se jeter direct sur la tour Montparnasse.
17h46: Je voudrais bien qu'on m'explique pourquoi cette jeune fille très vulgaire a eu droit à une fouille à corps scrupuleuse par ce beau vigile alors que moi c'est Gertrud qui s'y est collée.
17h50: A y'est, je suis dans la salle d'embarquement. J'achète une énorme barre de Tobleronne. ça fait dix ans que je n'ai pas mangé de Tobleronne. Quand on va mourir on fait des choses folles.
17h52: Le Tobleronne ça déchire. Je me demande s'il foutent pas du lexomil dedans. J'ai plus peur.
17h55: J'ai fini mon Tobleronne. J'ai de nouveau peur. En plus si je survis j'aurai pris un kilo. Au point où j'en suis je vais me taper une autre barre.
18h40: "Les passagers du vol Air One 675 pour Turin sont invités à se présenter à l'embarquement, porte 10".
18h42: Je fais une overdose de Tobleronne, je n'arrive plus à me lever. J'trouve pas la porte 10.
18h45: J'arrive péniblement à présenter mon passeport et ma carte d'embarquement. Je fais remarquer l'air de rien à l'hôtesse qu'il fait nuit. Elle me répond qu'elle s'en était rendu compte. Bon, manifestement l'information a l'air de mettre du temps à aller jusqu'à son cerveau. Il fait NUIT putain. Elle me rend mon passeport et m'invite à avancer. Tant pis, j'aurai essayé.
18h47: Je franchis le pas de la porte de mon cercueil. "Buongiorno" me lance un stewart à l'air niais. J'ai envie de lui en coller une. A tous les coups je fais un bad trip de Tobleronne.
18h50: Une hôtesse nous fait la démonstration du gilet de sauvetage. Je prends des notes.
18h52: Je voudrais pas dire mais il n'y a pas grand monde qui écoute l'hôtesse.
18h53: Chacun fait ce qu'il veut mais j'ai dans l'idée que si on s'écrase dans l'Atlantique dans une heure on sera pas nombreux à s'en sortir. En tous cas une fois qu'on sera dans la flotte faudra pas compter sur moi pour expliquer le fonctionnement du gilet. ça sera chacun sa gueule, je vous préviens. D'autant que tout ce bardas m'a l'air assez compliqué à faire fonctionner. J'ose à peine imaginer ce que ça peut donner en pleine panique.
19h00: "Ready for take off".
19h01: J'y crois pas qu'il y'a un type qui écoute un truc dans son oreillette de téléphone alors qu'on va décoller. Le capitaine vient pourtant y'a pas deux minutes de nous prévenir que c'est STRICTEMENT interdit.
19h03: Au point où j'en suis dans ma dérive pétainiste j'avertis immédiatement l'hôtesse.
19h04: C'est un sonotone.
19h06: Il n'empêche qu'avec moi pas un détail n'est laissé au hasard.
19h07: L'avion s'élance sur la piste. J'ai l'impression que c'est moi qu'on propulse à 300 km à l'heure. J'ai pris tellement de lexomil que j'ai super peur mais qu'en même temps mon coeur bat étrangement très très lentement. Je vais mourir, même pas à cause de l'avion. Avec ma chance je fais une réaction au mélange de Tobleronne et d'anxiolitiques.
19h10: On décolle. J'ai 300 tonnes sur le ventre. C'est la fin.
19h15: J'ouvre les yeux. Je suis toujours vivante. Par la fenêtre je vois les lumières de Paris. Et aussi la tour Eiffel. Je vais peut-être mourir mais je n'avais jamais rien vu d'aussi beau.
19h20: Je me sens super courageuse. Je suis une aventurière. Je suis Florence Aubenas.
19h40. Je viens de me remettre du décollage et voilà qu'on "entre dans oune zone dé tourboulences", nous annonce le steward.
19h41: Je fais l'oeuf.
19h45: J'explique à mon voisin que je me mets dans cette position en cas d'atterrissage d'urgence.
19h46: J'explique à mon voisin que si pour lui le fait qu'il y ait systématiquement zéro survivant en cas de crash fait de l'avion le moyen de transport le plus sûr au monde c'est SON problème.
19h48: L'hôtesse a l'air super nerveuse. Il se passe un truc c'est sûr. Elle fait genre "tout va bien" mais on ne me la fait pas.
20h00: Je prends mon I-Pod et je mets Marc Lavoine à fond. Si je dois mourir je veux que ce soit avec lui.
20h12: L'hôtesse me secoue violemment. On est en phase d'atterrissage et soit-disant qu'avec mon I-Pod je mets tout l'avion en danger.
20h13: Le monsieur au sonotone me regarde avec un air mauvais.
20h20: Je ne vois pas comment le pilote peut envisager qu'on se pose dans deux minutes alors qu'on est à quelques mètres du sol et qu'on doit encore dépasser les 450 km/h. On va crever cette fois-ci c'est sûr.
20h22: On rebondit sur le tarmac. Je freine comme une possédée à l'aide de mes accoudoirs.
20h23: C'est un miracle inespéré: on est entiers. Dire que demain je remets ça pour revenir. J'espère qu'ils vendent du Tobleronne à Turin...