Quand à la première rentrée... C'était il y a trois ans et je commence tout juste à pouvoir en parler. Avant, c'était encore trop frais. Pour vous, aujourd'hui, je veux bien essayer.
On est donc en 2003. A eux deux mes bébés - alors là, à trois ans, je n'en démords pas, ce sont presque des NOUVEAUX-NES - doivent mesurer un mètre et encore. Depuis une semaine j'ai une boule là, au fond du ventre. Ce n'est pas tant l'idée de la séparation, on a déjà franchi avec succès l'épreuve de la crèche. Non, c'est juste que l'école, moi, petite, je n'aimais pas vraiment ça. Et que quelque part, il me semble que ma première année de maternelle, c'était hier. Bon, d'accord, avant-hier.
Le jour J, on entre dans l'enceinte de l'école. La première personne à nous saluer, c'est Nicole, la gardienne. 130 cm de tour de poitrine, bonnet F. Au moins. Je sens que Nicole et moi, on va vivre une grande histoire. Elle regarde mes enfants et c'est une évidence, elle les aime déjà plus que les autres. Elle n'en dira rien, bien sûr, ce ne serait pas sympa pour les autres mamans. Mais bon, on voit bien qu'elle a craqué. Comment lui en vouloir...
Après avoir salué notre chère Nicole, on monte les escaliers. Mes petits serrent très très fort mes mains, à moins que ce ne soit moi qui leur broie les doigts.
Après m'avoir fait jurer de ne pas pleurer et de ne pas m'éterniser dans les lieux, l'homme décide UNILATERALEMENT que c'est lui qui emmènera ma fille dans sa classe. A cause de notre relation soit disant fusionnelle. Quand ils s'éloignent tous les deux, de la voir si minuscule partir vers l'inconnu, c'est simple, c'est comme si on m'arrachait le coeur à mains nues. Un sanglot incontrôlable s'échappe de ma poitrine. Cinq minutes après l'homme ressort, fier comme un pou, la miss n'a pas versé une larme. Je le calme tout de suite en lui rappelant qu'une enfant qui n'extériorise pas sa peine est une enfant qui souffre encore plus.
C'est maintenant à moi de m'acquitter de ma mission, laisser mon fils. La maitresse a l'air gentille. Elle nous fait visiter la classe et nous explique que maintenant, il faut que "la maman parte travailler". Je la regarde d'un air probablement très niais sans comprendre tout de suite que "la maman" c'est moi. Je suis tentée de la soudoyer pour rester la matinée. Je sors un gros billet de ma poche, l'air de rien. Si je sens qu'elle est réceptive, je tente le coup.
Elle n'est pas réceptive.
J'embrasse alors 67 fois les joues de mon bonhomme et je lui annonce qu'il est temps de nous séparer. Mon chérubin ne l'entend pas de cette oreille. Sa lèvre inférieure se met à trembler dangereusement.
Je suis en train d'abandonner mon nourrisson.
Je commence à pleurer.
Rien ne prouve qu'il y ait un lien de cause à effet - et quoi qu'en dise encore aujourd'hui l'homme ON NE LE SAURA JAMAIS - mais à ce moment là mon fils se met à hurler à la mort. "Pas l'école, pas l'école, pas l'écoooooooole". Il s'accroche à moi comme un noyé à une planche de bois. La maitresse et moi ne sommes pas de trop pour détacher un à un ses petits doigts de mes mains. L'homme m'entraîne dans le couloir. Là je crois que je crie aussi "pas l'écooooooooooooole". Mais je n'en suis pas sûre.
Finalement, sans que je comprenne comment, je me retrouve derrière une porte fermée pas assez épaisse pour atténuer les hurlements de la chair de ma chair. "Dans cinq minutes il s'amusera comme un fou, là il sent que tu es juste à côté, tu ne l'aides pas", tente l'homme. "Mais encore heureux qu'il le sent que je suis à côté", parviens-je à articuler. "Et j'espère que la maitresse elle le sent aussi. Parce que moi, pour le coup, je la sens pas, figures toi". L'homme me lance son regard n°12, celui qui veut dire: "là je laisse tomber, ça n'est plus de mon ressort". Et il s'en va.
Pas moi.
Finalement, après de longues minutes rythmées par les pleurs incessants de mon chérubin, je finis par descendre les escaliers. Je sais, les apparences jouent contre moi, mais je suis malgré tout une adulte et une mère responsable.
Bon, d'accord, en fait j'ai peur de la directrice.
Au moment de passer le porche de l'école, Nicole, la gardienne au tour de poitrine le plus grand de la capitale, me prend en pitié. "Ne vous inquiétez pas ma petite. Tous les enfants pleurent le premier jour. Ensuite, ils ne veulent qu'une chose, y retourner. C'est votre première rentrée ?".
La pauvre Nicole ignore qu'elle vient de faire une grosse boulette. Elle a été gentille. Avec une mère en détresse qui tente de réprimer un gros chagrin. Je tombe dans ses bras en sanglotant, articulant à grand peine entre deux reniflements morveux que oui, c'est ma première rentrée, qu'en plus je laisse DEUX enfants, PREMATURES qui plus est. "Allez, allez, ma petite...", me berce Nicole. Là c'est mort, je me lache complètement. Je pleure comme je n'ai pas pleuré depuis des siècles. Et plus je pleure, plus je pense à des choses horribles qui font redoubler mes sanglots. Je dois l'avouer, c'est bon. Les autres mères qui sortent elles aussi avec les yeux rouges me regardent avec envie. Elles voudraient bien un gros calin elles aussi.
Elles peuvent toujours courir. C'est MA Nicole.
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Voilà, j'ai finalement passé la matinée dans la loge de la gardienne - qui s'appelait vraiment Nicole comme l'esthéticienne du Meurice et comme ma mère, si si... - à me faire consoler, la tête posée sur ses seins gigantesques. Bien sûr, quand vers 11h30 la cloche a sonné, mes deux lutins sont descendus hilares, l'air de rien, comme s'ils avaient fait ça toute leur vie, d'aller à l'école.
Aujourd'hui, donc, on remet ça. Le problème, c'est que là, c'est le CP. Et qu'à la grande école, il n'y a pas Nicole.