Aujourd'hui, c'est un jour très spécial. Mes deux coeurs ont 7 ans. Sept ans. L'âge de raison, quoi. Je me souviens, le jour où j'ai eu dix ans, mon père a regardé ma mère et avec beaucoup de tendresse et de nostalgie dans la voix, il a dit: "Dix ans, tu te rends compte, j'ai l'impression que c'était hier". Moi je n'avais rien dit à ce moment là mais dans ma tête, j'avais pensé que tout de même, il exagérait un peu. Dix ans, c'était long. En plus, moi, ces années me paraissaient dûrer une éternité. La preuve, ça faisait un siècle que j'attendais d'entrer au collège !
Aujourd'hui, forcément je comprends mon père et je SAIS. Je sais qu'en effet, pour lui, c'était vraiment hier.
Pour l'occasion, je vous propose une petite redif, écrite il y a un an, qui relate justement ces jours d'avril que je n'oublierai jamais. C'était hier, et demain, dans dix ans, ce sera toujours hier...
Edit: le texte est long, alors si ça vous plait, je vous livrerai la suite demain. J'avais essayé à l'époque d'en faire quelque chose qui ressemblerait à une nouvelle, je ne suis pas sûre que ce soit vraiment réussi.
Edit2: La photo je l'adore parce qu'on les voit sans les voir. Et puis c'est la vie, la couleur et le cirque.
La rencontre
Il faisait beau ce jour là. Le mois de mai venait de commencer. La ville semblait savourer les premiers rayons de soleil. Quand elle est sortie de la clinique sur son brancard, ses yeux n'ont pas tout de suite supporté la lumière. Comme si elle était restée dans l'obscurité trop longtemps. Le bruit aussi la surprit. Trois jours seulement qu'elle était enfermée dans cette chambre climatisée aux fenêtres closes et son corps avait déjà oublié qu'ailleurs, il y avait la vie. Trois jours à rayer de la carte, trois jours où elle n'était finalement plus rien qu'une carcasse meurtrie, vidée de son sens.
Mais déjà, l'infirmier faisait glisser le brancard dans l'ambulance. Sa petite soeur la regarda d'un air inquiet. "ça va ?". "ça va, ne t'en fais pas, ça tire un peu, c'est tout". Une fois la voiture en route, le silence se fit à l'intérieur. Elle n'avait pas de mots à la bouche, plus de larmes non plus. Juste cette sensation aigüe d'aller au rendez-vous le plus crucial de son existence. Elle se surprit à penser qu'elle n'était même pas maquillée.
En transit entre deux vies, elle regardait par le haut de la fenêtre les toits de Paris défiler. La cîme des marronniers en bourgeons, puis le génie de la bastille qui, frappé de plein fouet par un rayon oblique du soleil l'aveugla. Vint ensuite la promenade plantée parcourue d'une foultitude de passants à mille lieues de connaître le secret qui abritait la petite ambulance pressée. Gargouilles, alcoves nichées sur les toîts des immeubles haussmaniens, suivies des rails du métro aérien... Drôle de visite des hauts de la ville, drôles de circonstances pour découvrir l'autre visage de ces rues maintes fois arpentées sans lever le nez. "J'arrive, j'arrive"... Plus elle se rapprochait, plus elle était fébrile. A la fois impatiente et terrorisée. Son ventre déchiré la faisait grimacer au moindre nid-de-poule, mais la douleur n'était plus rien. Elle ne serait plus jamais aussi malheureuse que ces trois derniers jours.
L'ambulancier arrêta la voiture dans la cour d'un nouvel hôpital. "On est arrivés madame. Ne bougez pas, je vais chercher un fauteuil roulant".
"Non, ça va aller, s'il vous plait. Je peux marcher". Elle serra les dents et s'extirpa laborieusement de son brancard, puis du véhicule. Un pied par terre, puis l'autre. La douleur était telle que les bâtiments aux alentours se mirent à tourner. Elle prit appui sur sa soeur et la solidité de cette dernière, pourtant petite et frêle la rassura. Elles avançèrent doucement vers l'entrée, drôle de couple boitillant, l'une, vêtue d'un peignoir d'hôpital et courbée comme une vieille, et l'autre, petite demoiselle tirée à quatre épingles qui ne ployait pas sous le poids de la première.
A chaque pas, elle craignait que la cicatrice ne cède. Mais elle effectuerait ces derniers mètres debout. Elles entrèrent dans la nouvelle clinique. De nouveau l'odeur d'éther, de nouveau la lumière artificielle. Les scintillements du printemps avaient disparu, mais la ronde avançait sans regrets. Au boût d'un long couloir, devant une lourde porte orange, l'infirmier qui les accompagnait informa sa soeur qu'elle devrait attendre là.
"Seule la maman est autorisée à entrer", expliqua l'homme.
"Seule la maman..." Les mots résonnent encore des années plus tard. Pour la première fois depuis qu'on avait arraché ses petits de ses entrailles, elle était officiellement la maman. Elle regarda la porte devant elle et son corps fut secoué d'un frisson de peur et d'impatience.
De l'autre côté, se trouvaient ses enfants.
A suivre...