J'ai des tocs.
Bon, ça y'est c'est dit.
En même temps ça va, il y a probablement plus honteux que ça, d'autant que mes tocs ne consistent pas non plus à manger le bulbe de mes cheveux - si je vous jure que ça existe, la preuve, Delarue en a rencontré - ou à ronger mes ongles de pied.
N'empêche que j'ai des tocs et parfois, c'est assez pénible. En fait mes tocs sont mentaux, ce sont plutôt des pensées obsessionnelles, d'ailleurs les psys n'appelleraient probablement pas ça des tocs. M'enfin je m'en passerais.
Par exemple, si je souhaite très fort quelque chose, je m'oblige à penser qu'en réalité je m'en fiche et que de toutes façons ça n'arrivera pas. Ou alors, je me persuade que le pire va se produire pour conjurer le sort. Mais attention, je fais ça pour TOUT et depuis TOUJOURS.
Parfois, je me surprends à faire comme quand j'étais petite et à me forcer à marcher sur le bord du trottoir en me disant que si je tombe, je perds mon travail, je rate mon train, je me plante à l'oral du bac... Bref.
Quand je prends l'avion - je vous rappelle que l'avion n'est pas à proprement parler mon ami et qu'on ne peut pas vraiment dire que voler ce soit easy easy pour moi - les tocs se multiplient. Il me faut la petite Charlotte aux fraises de ma fille dans mon sac, sinon le risque de crash est quasi certain. Parfois, je l'avoue, c'est atroce, je me réjouis si j'apprends dans les jours qui précèdent le vol qu'un 747 s'est écrasé. Je me dis que statistiquement tout de même... Ensuite, le moindre micro-événement prend des proportions hallucinantes. Si le RER pour Charles de Gaulle tombe en panne je suis certaine que c'est un signe évident de dieu pour que surtout je n'entre pas dans ce cercueil volant. Si mon fils me supplie de rester, c'est parce qu'il a senti qu'on ne se reverra pas. Si l'homme a oublié de m'embrasser, c'est pour la même raison. Bref.
Pire, si d'aventure je n'ai pas spécialement peur à l'idée d'embarquer - ça se produit rarement mais ça arrive - alors là, je suis prise soudain d'une panique irraisonnée: si je n'ai aucune angoisse c'est qu'à coup sûr c'est pour aujourd'hui. C'est bien connu, c'est toujours quand on s'y attend le moins que les pires tuiles nous tombent dessus, non ? Bref.
Voilà. Vous le savez maintenant, je suis complètement barrée.
Mais mon plus grand toc, c'est tous les soirs qu'il se manifeste. Oui, tous les soirs, depuis que mes enfants sont nés, je me dois d'aller les écouter respirer avant de me coucher. Quelle que soit l'heure, quel que soit mon état. Même saoule et à moitié chancelante, il faut que j'y aille.
Parfois, de fatigue, j'oublie et me glisse épuisée sous ma couette. A peine la lumière éteinte, je m'aperçois de ma négligence. Au départ, je tente de m'endormir et là, la pensée coupable s'insinue, perverse et tenace: si je n'y vais pas, ils vont mourir.
Alors je me relève en grelottant et titube à moitié nue dans les chambres attenantes. Je passe un doigt sur leur joue et vérifie que leur respiration est régulière. Ensuite seulement je peux aller m'abandonner au sommeil.
Ce toc là, je ne l'ai avoué à l'homme qu'il y a deux jours. Bien sûr, il avait remarqué que je me relevais sous de fallacieux prétextes (pipi, soif, chaud, froid, lumière oubliée, etc). Mais il ne savait pas que tous les soirs c'est bien plus qu'un dernier bonsoir qui se joue. Tous les soirs, c'est une question de vie ou de mort.