Pour commencer, il a fallu que j'écoute les conseils donnés sur un ton professoral par l'homme qui m'a expliqué en long en large et en travers que la règle numéro 1 quand tu prends un Vélib c'est de BIEN VERIFIER le matériel. Rapport que s'il est crevé, genre, t'es obligé d'attendre dix minutes avant d'en reprendre un autre. Bon, il aurait pu me le dire en deux mots, il me l'a dit en cent. J'ai bien senti qu'il n'avait aucune confiance dans ma capacité à déceler un dysfonctionnement cycliste en un simple coup d'oeil. Du coup j'ai eu aussi droit à une démonstration en règle, l'analyse détaillée du vélib et des différentes avaries dont celui-ci peut être victime.
Je me dois de préciser que l'homme n'a pas, contrairement aux apparences, son master vélib. Avant cet épisode, il en avait fait une fois un jour de grève et avait réussi l'exploit de se faire renverser... par un piéton. Mais comme une bonne épouse se doit de montrer parfois un peu de déférence envers son mari, j'ai aquiescé à tout son baratin en essayant de masquer le mieux possible mon début d'exaspération. Non parce que bon, faut pas être sorti de l'Ena pour repéré un pneu à plat.
Qu'à cela ne tienne, donc, j'ai scrupuleusement choisi mon engin, après avoir un peu pataugé à la borne entre mon pass navigo du métro et ma carte bleue, introduisant systématiquement l'une à la place de l'autre dans la machine. Après que l'homme se soit également acquitté de son inscription - avec autant de difficultés que moi et ce bien sûr après avoir ricané au sujet de mon manque absolu de sens pratique - et qu'il ait lui aussi pris son vélo, on est partis à l'assaut de l'avenue d'Italie.
Qui contrairement à ce qu'on pourrait penser quand on est à pied, monte.
N'écoutant que mon courage, j'ai pédalé de plus belle en pestant contre l'absence de vitesses et la lourdeur du vélo. Arrivée à la place d'Italie j'avais décidé de voter Pannafieu en 2008.
En même temps j'étais malgré tout plus vaillante que mon compagnon. Qui avait manifestement oublié dans son scrupuleux check-up de vérifier la selle. Dont la vis de serrage ne fonctionnait plus. Je dois avouer que le spectacle de l'homme pédalant tant bien que mal les genoux au menton et s'arrêtant à chaque feu rouge pour remonter son assise qui redescendait inexorablement quelques mètres plus loin m'a fait me gondoler tant et si bien que j'ai dévalé le boulevard de l'hôpital sans souci - qui certes est en pente. Je prenais toutefois garde de freiner avant chaque feu histoire de ne pas donner l'occasion à l'homme de me soudoyer pour que je prenne son vélo avec selle au plancher. J'étais en effet plus que certaine qu'il avait déjà fait le rapprochement entre ma physionomie "courte sur pattes" et le léger défaut de sa monture.
Sauf qu'à un moment j'ai mal calculé mon coup et pof, on s'est retrouvés arrêtés côte à côte. Pas loupé. Il a pris son air de panda et m'a demandé si ça ne me dérangeait pas d'essayer. Dois-je insister sur la mauvaise grace avec laquelle j'ai consenti à lui laisser mon vélo impeccable pour hériter en échange d'une selle non seulement descendante mais également pivotante ?
Las, ma mansuétude légendaire a rapidement trouvé ses limites. Au feu suivant j'ai décrêté que l'amour ne justifiait pas tout, en tout cas surement pas de me luxer le cul sur son velib tout pourri que même pas il avait mis en pratique ses conseils à la con.
Il a d'abord fait semblant de ne pas entendre et fait mine de repartir.
Là, ni une ni deux j'ai laché l'engin et je lui ai annoncé que je prenais le métro. Lui rappelant que c'était avec SA carte bleue que son handivélib avait été loué. Et lui laissant le soin de calculer ce que pouvait lui coûter un abandon de bicyclette sur la voie publique avec risque en plus qu'un homme de petite taille en fasse son affaire et se balade à ses frais pour le restant de ses jours.
L'homme n'est pas près de ses sous mais il est également conscient que pour garder une épouse aussi merveilleuse que moi même il doit prendre garde à ne pas être ruiné.
Donc il m'a rendu très gracieusement mon vélo.
Après on est repartis amoureux comme au premier jour jusqu'à la mairie du 11è. L'homme sur son tricycle et moi, élégante, racée et enjouée sur mon fier destrier.
Bon vous vous en doutez, en fait Paris n'est qu'une succession de montées que jamais on redescend et que ça en est suspect. Un coup de l'UMP à mon avis. On a mis près d'une heure pour arriver à destination dans le onzième et j'ai eu mal aux fesses pendant deux semaines. Limite en plus ça te collerait une systite à la longue. Quand à l'homme il lui a fallu près de de trois jours avant de m'adresser à nouveau la parole. En revanche je ne suis pas sûre qu'à l'heure où je vous parle il ait retrouvé sa dignité.
Depuis j'ai donc décidé de m'offrir à Noël un vélo électrique. Et je prévois par ailleurs très sérieusement d'en épouser l'inventeur. Parce qu'avoir imaginé de créer une bicylette qui t'aide à monter les côtes tout en ressemblant quand même à un vélo, je trouve ça juste génial. Même qu'en plus tu as bonne conscience rapport que du moment ou on pédale, je défie quiconque me prouver qu'on ne fait pas du sport.