La dernière fois que j'étais partie en goguette, il me semble me souvenir que tu avais adoré suivre mon périple pas à pas. Je te comprends, ma vie est en effet fascinante. Pas au point de celle de Pénélope bien sûr, mais quand même.
Du coup, je ne résiste pas à l'envie de t'offrir à nouveau une tranche de mon quotidien et de te donner oui, te donner, parce que chez moi c'est comme ça qu'on est, un peu de ce soleil du nord qui pour une fois n'était pas que dans le coeur des habitants de cette région désormais célèbre...
Oui, ce furent deux jours merveilleux. Pourtant, je peux te l'avouer, ça avait plutôt mal commencé. Enfin, mal. On va dire qu'il faut toujours un commencement et qu'en général en ce qui concerne ma sympathique petite famille, ce commencement est rarement guilleret.
D'abord parce qu'on déclare toujours la veille à qui veut l'entendre qu'à 8h du mat on sera partis et que forcément du coup, lorsqu'on regarde notre montre au moment de démarrer et qu'il est 10h45, heure présumée de notre arrivée, il y en a toujours un pour chercher le coupable de ce retard. Forcément celui ou celle qui est désigné(e) est rarement d'accord pour endosser toute la responsabilité de ce léger décalage dans le planning.
Ensuite, l'engueulade commence porte d'Italie. Lorsque l'homme, seul maitre à bord puisqu'ayant réussi au terme d'un travail de sape de douze longues années, la main posée sur le frein à main, à dégouter définitivement son épouse de la conduite, demande paniqué à ladite épouse - qui a mal au coeur dès qu'elle regarde une carte en roulant: "putain, merde, c'est le périf extérieur ou intérieur qu'on doit prendre pour Le Touquet ?".
Question à laquelle, invariablement - quand je dis "invariablement" c'est quelle que soit la destination parce qu'on ne part pas tout le temps au Touquet voire même c'était la première fois - je réponds, passablement irritée: "heu, Thierry Sabine, quand on part, on regarde son itinéraire AVANT de s'engager sur le périph, ce n'est pas faute de te le dire à chaque fois il me semble. Que veux-tu que j'en sache moi ? C'est marqué nulle part le Touquet, là, hein.".
D'habitude, l'homme grogne dans sa barbe que je pourrais être plus aimable tout en étant bien obligé de reconnaitre que de se renseigner sur le chemin à prendre eut été malin voire astucieux. Mais cette fois ci, il a innové. Après que je lui ai donc fort gentiment rappelé qu'un bon conducteur étudie toujours le plan quelques heures avant le départ, il a dégainé fier comme un coq douze pages de ViaMichelin: "Ah ! Et bien figures-toi que justement je m'améliore. Regarde, cette fois-ci j'ai regardé le chemin. Alors lis et dis-moi". Oui parce que tu vois, l'homme, il s'améliore mais de là à imaginer qu'il ait l'idée de LIRE ce qu'il a imprimé, faut pas non plus jeter mémé dans l'eau du bain.
Alors oui, bonne idée, le coup de la recherche internet. Sauf que va déchiffrer Via Michelin alors que tu as deux secondes pour décider du sens dans lequel tu dois prendre le périph et que Jean-Claude derrière toi klaxonne à qui mieux mieux comme si sa vie en dépendait. Sachant qu'en plus, ViaMichelin serait capable de te faire perdre ton chemin alors même que tu te rendrais à pied chez ton boulanger, rapport qu'il te dit de prendre la N146 et que JAMAIS c'est écrit nulle part le numéro des routes, putain. Moi en tous cas ça fait depuis 1985 que je n'ai plus vu une borne kilométrique. En plus je te le rappelle, en voiture j'ai mal au coeur. Et je suis enceinte. Ce qui n'a peut-être aucun rapport mais quand même.
Donc forcément, arrivés en plein milieu de Sarcelles - à proximité du Touquet c'est bien connu - et alors que nous ne trouvions nulle part la D578 à prendre sur 12m50 avant de récupérer la N115 sur 200m, on a quelque peu échangé des propos peu affables quand à l'avenir peu prometteur de notre mariage.
Ce qui a instantanément fait vomir ma fille.
Pour la deuxième fois. La première c'était porte de Bercy, mais ça, ça ne compte pas, c'est en quelque sorte une tradition, une façon de baptiser le voyage, un gri-gri.
Je te mentirais à ce stade de mon récit en prétendant que j'ai bien digéré la chose (digéré... vomi, hin hin hin) et qu'il ne m'a pas pris l'envie de sortir de la voiture et d'abandonner séance tenante homme, enfants et bassine à quiche. Je te mentirais également si je te racontais que j'ai tendrement consolé ma fille tout en lavant la bassine en question avec le reste de la bouteille d'eau prévue pour tout autre chose. Oui je te mentirais parce que la vérité c'est que je me suis contentée de décrèter sans aucun sens de la tragédie que le week-end était terminé, qu'on rentrait à la maison parce que là très franchement, entre Sarcelles, l'odeur de gerbis et la perspective du divorce alors que number three n'était même pas née, c'était trop pour une seule femme, surtout dans mon état parce que tout de même, je n'étais peut-être pas assez chiante et que du coup tout le monde avait l'air de l'oublier, voire de carrément s'en foutre, mais je suis enceinte, quand même. Après j'ai un peu pleuré mais là aussi ça ne compte pas, toujours ce truc des traditions à respecter.
A suivre...