Allez, il est temps de finir l'histoire, afin de passer à un autre chapître de ma vie...
Alors donc, à 7h du matin, j'étais toujours en train de pleurer ma mère, ma grand-mère et toute sa génération, pendant que l'homme s'évertuait à chercher un moyen d'apaiser mes souffrances.
Six heures de travail quasi inefficace, qui dit mieux.
Merci mon périnée.
Quand tu penses que pour mes premiers enfants, mon col s'est effacé à 4 mois de grossesse, tu as envie de demander, elle est où la justice de la vie ?
Ben en tous cas, pas dans la salle de travail de la Pitié le 5 août dernier.
"Presque", il m'a répondu. "Je suis celui qui va vous dire si vous pouvez avoir la péridurale". Sérieux, jamais j'aurais pensé qu'obtenir cette satanée piqure dans le dos était autrement plus compliqué que de chopper la queue du mickey à la fête à neuneu.
En même temps j'ai toujours été minable pour décrocher la queue du mickey.
Toujours est-il que le gamin m'a examinée - à ce stade là, faut savoir que ton vagin est plus fréquenté que la grotte de Lascaux en plein mois d'août et que limite t'es étonnée quand on entre dans la salle sans direct t'enfoncer deux doigts histoire de juger de l'état de ton col - et a consenti à me délivrer mon autorisation officielle de péridurale.
Il était donc 7h45.
A 8h15 toujours pas l'ombre d'un anesthésiste.
A 8h30 j'ai commencé à hurler. Et menacé de saccager le matos à 15 000 dollars de la salle de travail.
A 8h40 ma sauveuse est arrivée. Un physique de catcheuse et une amabilité de porte de prison.
Et pourtant, ça a été "love at the first sight". C'est simple, s'il n'y avait pas eu cette histoire d'accouchement, je serais partie direct avec elle à Amsterdam pour l'épouser.
Quand elle m'a piquée, j'ai presque joui.
En fait j'ai joui.
Et quand dix minutes après j'ai senti la contraction arriver pour finalement ne pas me faire mal, j'ai été prise d'un rire démoniaque. Et j'ai décidé que je ne croirais plus qu'en une seule divinité: la péridurale.
Bon, ensuite, ça a continué tout pareil sauf que je n'avais plus mal. Certes, mes jambes étaient en coton et quand la sage-femme m'a demandé de me mettre à quatre pattes pour tenter d'aider la miss à s'engager, j'ai eu la désagréable impression d'être devenue une femme tron.
Certes, ta vessie non plus tu la sens plus, alors forcément, régulièrement, la même sage-femme vient la vider, tout ça en présence de l'homme.
Certes, ma tension a tellement chuté que je me suis demandé si au moment venu j'arriverais à pousser.
M'enfin l'armée de goths invicibles avait pris la fuite et c'était tout ce qui comptait.
Les heures ont passé et mon col a continué, la brave bête, à se dilater.
A son rythme.
Qui n'était pas le bon, tu penses.
A 13h, j'étais à 7 cm.
Et Pimprenelle beaucoup trop haut.
A 13h30, la salle de travail est devenue aussi bondée que la ligne 1 du métro aux heures de pointe.
Et je peux te dire que y'avait du beau linge. Exit les internes de 14 ans, là c'était chefs de service et compagnie.
C'est quand j'ai vu trois obstétriciens et une sage-femme les yeux rivés sur le monitoring dans un silence de mort que je me suis dit que ça sentait le roussi.
Et plus on me disait de ne pas m'inquiéter, plus bizarrement j'étais comme qui dirait tendue.
A 14h00 et après une centaine de touchers vaginaux on m'a annoncé que je plafonnais à 8 centimètres et demi et une infirmière a conseillé à l'homme d'aller manger un morceau histoire de tenir le coup "pour la suite". Là j'ai clairement compris que je ne pousserais probablement jamais.
Bingo, à 14h15 l'obstétricienne en chef m'a expliqué que malgré tous les efforts de chacun et notamment les miens et ceux de pimprenelle, les choses n'avançaient pas. Voire même qu'on était en train de reculer. Rapport que le rythme cardiaque du bébé était un peu trop lent (= beaucoup trop) et que le mien n'était pas plus brillant (= le pouls d'une huitre). Quand à mon utérus, il menaçait de rendre l'âme (= je pissais le sang).
Résultat des courses, il allait falloir passer au plan B.
B comme césarienne.
Que les choses soient claires, jusque là, j'avais géré comme une pro. Bon, au niveau du pont de la douleur j'avais un peu laissé le chantier inachevé, c'est vrai. Mais pas une larme, pas une crise de panique, rien.
Et puis, forcément, une infirmière bien intentionnée n'a rien trouvé de mieux que de prendre ma main et de me dire avec une douceur terrible de ne pas m'inquiéter.
Et là, on va dire que sans le vouloir elle a ouvert les vannes.
Genre avec mes larmes on aurait pu alimenter toutes les usines hydroliques de l'hexagone.
L'homme a pris ma main, il arrêtait pas de dire que ce n'était pas ma faute et que j'avais fait mon possible. Moi dans ma tête je pensais juste que j'avais peur.
Ensuite, tout a été très vite. On m'a emmenée au bloc à toute vitesse - bien que "y'ait pas d'urgence hein madame" -, une nouvelle anesthésiste est arrivée et m'a balancé un cocktail détonnant qui a endormi mon corps jusqu'aux seins en deux minutes.
L'homme a été s'habiller en schtroumpf et m'a rejoint alors que le champ opératoire venait d'être tiré. Pendant tout ce temps là qui n'a duré finalement que quelques minutes, je peux me vanter de ne pas avoir cessé de pleurer une seule seconde.
Une vraie combattante.
Et puis j'ai senti une grande secousse. Suivie d'une sensation d'aspiration incroyable.
Et puis un cri.
Un putain de cri.
Et tout de suite après, la sage-femme qui m'avait accompagnée pendant ces 13 heures est arrivée de l'autre côté du champ avec dans les bras mon bébé. Ma Rose. Hirsute et furieuse. Elle l'a approchée de mon visage et les cris ont cessé. Rose a planté ses yeux d'esquimau dans les miens en louchant tellement elle s'appliquait. Puis elle a ouvert grand sa bouche, a attrapé mon nez et commencé à téter.
Depuis, elle ne s'est plus arrêté. Bon, je te rassure, elle a fini par comprendre que le nez ne donnerait rien.
Edit: La sage-femme en question s'appelait Rozen. Rose en breton. ça ne s'invente pas.
Edit 2: On me demande souvent si je n'ai pas été trop déçue. La réponse est non. J'ai accouché. A ma façon, mais j'ai accouché.
Edit 3: J'avais mis mon esquimaude en ligne mais comme convenu, je l'ai depuis enlevée, je ne veux pas avoir l'air de l'exposer comme un trophée...