L'iroquoise ne s'endort que dans les bras. De son père, en général. Et ça, tu peux potasser tous les bouquins de pédagogie mon cul, tu auras toujours la même réponse: c'est le MAL.
Ouais.
Mais qu'est-ce que c'est bon.
Normal, le mal, souvent, c'est bon.
Ne me demande pas pourquoi cette idée m'est venue, tout ça c'est rien qu'à cause de la pression sociale, encore un coup d'Edwige Antier et de ses copines. On a beau être une routarde de la maternité, on n'est pas à l'abri d'une rechute de temps à autre. Une rechute de "il faut" sans bien savoir pourquoi. "Il faut qu'elle reste au moins deux heures sur son tapis d'éveil", "Il faut qu'elle abandonne cette tétine", "Il faut qu'elle boive 210 ml", "Il faut qu'elle aime les haricots", etc etc etc.
Donc j'ai expliqué en long en large et en travers à l'homme que ce soir là il n'y aurait pas de calin en douce avec la demoiselle jusqu'à ce qu'elle sombre dans les bras de Morphée. Non, on allait lui expliquer que c'était la nuit, et que la nuit, un bébé s'endort SEUL dans son lit. Comme une grande. Et qu'à partir du moment où on lui dirait tranquillement les choses elle sentirait qu'au fond de l'intérieur de nous même on était prêts à la laisser trouver ce salopard de monsieur sommeil comme une grande.
Comment j'étais sûre de moi tu n'imagines pas.
J'ai donc tout fait comme j'avais dit, j'ai expliqué à Helmut que là, voilà, elle avait cinq mois et des patates, autrement dit l'âge de raison et qu'elle était désormais sur les rails de l'autonomie au niveau de l'endormissement. Free as a bird. Et que c'était bien mieux pour elle ET ses parents qu'elle gère en solo cet instant stratégique. J'ai rajouté qu'on l'aimait, bien sûr, qu'on resterait toujours son papa et sa maman, qu'on était juste à côté, qu'on ne l'abandonnait pas et que là, voilà, j'allais partir dans le salon et la laisser, tout ça parce que j'avais mis un paquet de confiance au fond d'elle.
Helmut m'a regardée avec ses grands yeux noirs et ensuite elle s'est marré.
Probablement à l'idée des quatorze fois où j'allais monter l'escalier (oui, s'il te plait, note bien le mot "escalier", il fait partie des raisons pour lesquelles tu as le droit de me haïr, surtout si tu le combines à "balcon", "vue sur jardin" et "Lave-vaiselle") dans la demi-heure qui allait suivre.
Je te passe les détails mais le fait est que l'intérieur de moi même n'est manifestement pas prêt à laisse ma presque majeure de fille trouver son sommeil toute seule. A moins que ce ne soit la faute de son père.
Comme souvent.
Toujours est-il qu'entre passer deux heures à aller et venir pour remettre la tuut (et accessoirement dire trente-huit fois "fais dodo" pour finir par rajouter "putain" à la trente-neuvième, paniquer au moment où les pleurs migrent très nettement vers le vomissement) et laisser son toutou de père bercer l'enfant chérie au mieux douze minutes avant qu'elle roupille comme une pierre, personnellement j'ai choisi.
Et tant pis si à cause de ça l'iroquoise en prend pour douze années de psy.
A ce moment là, nous, on sera en train de chercher notre sommeil en maison de retraite. Avec personne pour nous aider à le trouver. Alors bon, tu vois, Edwige...