Il y a deux jours, j'écrivais que j'avais arrêté d'allaiter. Ce que je n'ai pas dit, c'est ce sentiment de rupture qui m'étreignait depuis cet instant où sentant la morsure de feu l'iroquoise j'avais compris que c'était peut-être bien fini. Je crois que par dessus tout, ce qui me serrait le coeur, c'était de ne pas avoir réalisé pendant, que cette fois là avait été la dernière. Comme on savoure l'ultime cigarette un 31 décembre à 23h ou le tiramisu dégusté à la veille d'un régime.
C'est idiot, parce que finalement, la plus importante c'était sans doute la première fois, quand après trois heures à moisir en salle de réveil et à harceler l'infirmière de garde pour qu'on me remonte en menaçant de ramper jusqu'à la chambre s'il le fallait, Rose s'est ruée sur mon sein et l'a agrippé pour ne plus le lâcher.
Il n'empêche qu'idiot ou pas, j'étais triste à pleurer.
Et puis avant-hier soir, alors que je tournais dans mon lit, la boule nichée au creux de mon ventre, avec ce besoin d'elle viscéral contre lequel je m'étais jurée de lutter, elle s'est mise à crier. Un pleur aigu, à une heure inhabituelle.
Je suis allée dans la chambre, je l'ai prise contre moi. Dans un demi sommeil, elle a fourré son visage contre ma poitrine. On s'est nichées sur le canapé, peau contre peau, coeur contre coeur. Laquelle réconfortait l'autre, difficile à dire, je suis en revanche persuadée qu'elle avait entendu que tout mon corps la réclamait, que je ne trouverais pas le sommeil sans la tenir encore un peu de cette façon là.
C'était la dernière fois, là je l'ai su et je pense qu'elle aussi.
J'ai avalé son visage avec mes yeux, j'ai gouté chaque seconde de ce rendez-vous clandestin et je l'ai laissée longtemps endormie contre mon sein. J'ai laissé mes larmes couler, au revoir mon tout petit bébé, bonjour ma petite fille. Tournons une nouvelle page, personne ne nous volera cette nuit là, demain est un autre jour et grandir sera merveilleux, c'est promis.
Voilà, cette nuit là je crois qu'on a laché prise elle et moi. Depuis, je vais mieux, en tous cas je n'ai pas ce goût d'inachevé qui laissait au fond de ma gorge une désagréable amertume...