Donc on en était que le machin devait rester en observation une nuit à l'hôpital. Après une négociation qui a duré environ douze secondes, il a été décidé que c'était moi qui m'y collerait.
Qui n'a jamais dormi sur un fauteuil en skaï des hôpitaux de Paris ignore ce que signifie "ne pas fermer l'oeil de la nuit".
Tu ajoutes à ça la peur panique qu'à un instant ou à un autre le clou se plante dans la paroi de l'estomac de chouchou et tu peux oublier toute velléité de roupiller. D'autant que le machin, lui, tenait une forme que c'en était indécent. Je ne te dis pas l'oeil réprobateur des parents des gamins VRAIMENT malades quand ils l'ont vu se carapater à quatre pattes dans les couloirs en poussant des cris de victoire. Normal, un couloir pareil il n'en avait jamais eu à disposition. A lui l'ivresse des grands espaces, quoi.
En plus, le charmant bambin s'est découvert une passion pour le Lansoyïl, cette espèce de gelly rose censée accélérer son transit tout en enveloppant le clou. Ils avaient jamais vu ça à l'hosto, il en redemandait le bougre. A croire qu'on lui donnait rien à bouffer chez lui. Par contre, ça, pour pondre sa crotte fissa histoire qu'on puisse rentrer dans nos pénates, je pouvais toujours courir. Cet enfant qui chiait comme une pendule depuis sa naissance avait manifestement décidé de faire la grève de l'anus. J'ai eu beau mater la couche toutes les deux heures - fallait bien tuer le temps, hein - rien, nada, on aurait pu manger dessus.
Bref, après une des pires nuits de mon existence, il a fallu se rendre à l'évidence, le clou prenait son temps pour se faire la malle.
Et le personnel hospitalier semblait peu enclin à garder dans ses murs un gamin avec une telle santé de fer. Hin hin, tu notes, clou, fer, dieu que je m'impressionne parfois.
Quoi qu'il en soit, à midi le lendemain, on m'a gentiment renvoyée chez moi avec mon fakir et ma parafine.
Non sans m'expliquer qu'il me faudrait scrupuleusement examiner les selles de mon bébé jusqu'à temps qu'on trouve l'objet du délit.
Oui oui, que j'ai dit, no soucy.
C'est là qu'a commencé une période peu reluisante de notre vie de parents. Au premier caca, on était bien excités, genre chasse au trésor.
Au dixième, on tirait au sort pour savoir qui allait s'y coller.
D'autant que chez tout enfant normalement constitué, le lansoyïl a des vertus plutôt laxatives. Pas chez le machin.
Qui nous a pondu à cette époque les merdes les plus compactes qu'il m'ait été donné de voir. Ah ça on était beaux à voir avec notre couteau et notre fourchette en train de découper les excréments de notre cher enfant.
En vain.
Une semaine après l'ingestion, toujours pas la queue d'un clou à l'horizon.
En revanche, nous, on était au bord du divorce. En cause la mauvaise foi crasse dont chacun faisait preuve à chaque livraison de grosse commission (depuis l'animal avait repris ses habitudes, toutes les cinq heures environ, pof, vous avez un colis madame).
Ah, ça, ça y'allait les excuses à deux balles ou les manoeuvres plus retorses les unes que les autres: "Je peux pas j'ai piscine", "Non mais là il faut absolument que je m'occupe d'arroser le yucca, c'est fragile ces trucs là", "Je t'échange douze nettoyages de chiottes contre une couche à examiner", "J'ai compté je m'en suis tapé quatorze et toi douze", "Ok, combien tu veux, je suis prêt à PAYER pour ne pas m'y coller". "Non mais promis la prochaine c'est moi, là il se trouve que j'ai une envie très pressante", "Ah, merde, le téléphone sonne, je crois que c'est ma mère. Alors à moins que tu veuilles lui parler...". Et j'en passe.
Au bout de deux semaines, on s'est quand même dit qu'il fallait peut-être en parler à la pédiatre, bizarre tout de même qu'on fasse chou blanc de la sorte. On est arrivés super zen, faut dire que nous, le clou, on vivait avec depuis un bon bout de temps, on s'habitue à tout que veux-tu.
Pas la pédiatre.
Qui est devenue verdatre quand on lui a raconté, un peu goguenards, que le machin, il arrivait pas à expulser son clou.
"Non mais c'est très graaaaaaave, vous êtes inconscients, le cou s'est peut-être nécrosé, c'est un coup à faire une septicémie, c'est insensé de ne pas vous êtes manifestés avant, vous retournez immédiatement faire une radio, s'il est toujours là c'est l'opération, on ne laisse pas un enfant avec un objet en fer dans le corps".
Et ça fera 70 euros pour le savon.
Et pan, retour à la case départ. Cette fois-ci le radiologue il a pas fait la blague. Il te l'a pris direct et sans se marrer.
Pour ressortir triomphant.
Y'avait plus rien.
Le clou avait disparu.
C'est sûr, on était contents.
Mais la première pensée qu'on a eu c'est que ça faisait probablement dix jours qu'on jouait à la dinette alors que le salopiaud avait chié son clou depuis un bail.
La seconde pensée c'est que l'une des fouilles avait dû être moyennement scrupuleuse.
Bizarrement, aucune accusation n'a été proférée.
Signe probable qu'on avait chacun quelques souvenirs d'examens baclés.
Le pire, c'est que d'après la pédiatre qu'on a quand même rappelée pour lui raconter, c'était tout à fait possible que le machin il ait dissous le truc avec l'acide de son estomac.
Tu te rends compte ? Mieux qu'un sani-broyeur, quoi.