Je suis une procrastrinatrice. A savoir que je remets au lendemain tout ce qui pourtant me rendrait plus légère si c'était effectué le jour même.
Tout y passe. Bien sûr, payer les factures. Pour cela encore faudrait-il que je les ouvres, tu me diras. C'est simple, je ne passe à l'acte qu'une fois l'enveloppe avec le sceau de la société de recouvrement glissée dans ma boite aux lettres. Je peux me vanter de connaitre toutes celles qui ont pignon sur rue.
Idem pour les huissiers.
Mais ça ne s'arrête pas aux factures. Sécurité sociale, mutuelles et autres assurances sont pour moi les représentants d'un monde hostile. Ces gens là me demandent des précisions, des courriers, des numéros à reporter sur des formulaires, bref, l'impossible. D'où des piles de feuilles oranges qui attendent, résignées, qu'une âme charitable les remplisse et les envoie à bon entendeur. Salut.
Ne parlons pas des chèques en souffrance se mourant de ne pas être encaissés. Ou des contrats d'édition abandonnés à leur triste sort alors que les livres ont été écrits et livrés. Résultat, bien sûr, les avaloirs mérités restent sagement chez Hachette, qui, c'est bien connu, a bien besoin que je lui laisse de l'argent qui m'appartient.
Je crois que c'est cet aspect des choses qui m'interroge le plus. Etre en retard pour payer, ça peut se comprendre. C'est moyennement urbain, c'est à la limite de la légalité parfois, mais on peut entendre que quiconque n'ait pas envie de donner ses sous à quelque créancier que ce soit. Mais refuser de s'enrichir, là, non, je ne vois pas. Limite on pourrait penser que j'estime ne pas mériter l'argent pourtant honnêtement gagné (si tant est qu'écrire un livre intitulé "Comment baiser en cachette" soit l'exemple d'un travail honnête). On pourrait même se dire que je ne suis pas sûre de ma légitimité. Voire... on pourrait imaginer que je ne me sens, à 38 ans, toujours pas vraiment à ma place.
Le pire, c'est que même consciente de tout ceci, même parfaitement lucide sur mon compte, il ne se passe pas un jour sans que je ne sente le poids de ces tâches à accomplir.
Parfois, je m'acquitte de tous mes devoirs. En général parce que je suis a) rongée par l'angoisse, b) sous le coup d'une levée immédiate de mon mobilier c) (situation la plus fréquente) menacée PHYSIQUEMENT par l'homme pour qui un tel toc relève de la bêtise la plus crasse: putain quand même, tu es en train de te priver d'un fric qui est le tien, c'est hallu-ci-nant, c'est RIEN de mettre un chèque à la banque, tu passes devant et pan, dans la boîte aux lettres, et ce contrat, merde à la fin, ça fait TROIS mois qu'il traine sur la table, il est dégueulasse, Rose s'est mouchée dedans, franchement, quoi. Je t'ai acheté des timbres, je t'ai acheté des enveloppes, tu n'as plus qu'à mettre l'adresse, ça je peux pas le faire à ta place, en fait c'est ça, il faudrait que je le fasse à ta place, mais ce n'est pas te rendre service, n'empêche qu'un psy en ferait ses choux gras, d'un truc pareil, jamais vu ça de ma vie
Ces jours de remise à zéro des compteurs administratifs et judiciaires, je me sens comme délestée d'une enclume. Littéralement allégée d'une centaine de kilos.
Ce n'est évidemment pas pour autant que je réitère au premier recommandé glissé sous ma porte.
Je me dis souvent que si je vivais seule, je finirais par mourir sous un tas de courrier. Pas très glorieux.