Donc on en était qu'en glissant ma main par l'ouverture de ma valise-cabine, j'ai pu constater que mon ordi n'y était pas. Mais alors pas du tout. Tout ça alors que les stewards étaient en train de nous faire leur démo inutile qu'en cas de crash ça te fait une belle jambe de savoir où se trouve la sortie de secours où comment utiliser un gilet de sauvetage.
Allez, repartons donc dans le déroulé de ce départ en fanfare...
7h56: Sorry miss, can I just check my bag, just two seconds, thank's. Voilààààà, j'ouvre le zip de la valise, je passe ma main à l'intérieur et je constate que...
7h57: que je veux ma maman.
7h58: Et aussi mon papa.
7h59: Et surtout je veux mon ordinateur. Qui est certainement quelque part mais pas dans ma valise. Ni dans ma poche. Ni dans celle de mon sac à main. Ni dans mon soutien gorge. Et l'avion part dans 3 minutes.
8h01: C'est un cauchemar, je vais me réveiller, il n'y a pas de raison, je SAIS que j'ai repris ce foutu ordinateur après son passage au scanner. Après avoir remis mes chaussures. Et récupéré mon sac à main. Ainsi que mon portable. Et ma trousse de toilette transparente. Et... Putain, et rien du tout, l'ordi je l'ai zappé, maintenant ça me revient.
8h02: Je m'en fous, je vais raconter à mon boss qu'on me l'a arraché dans la rue et puis c'est tout. Pas de témoins, un pays étranger, la barrière de la langue, il comprendra.
Ou pas.
Sans compter que c'est la deuxième fois en trois ans que je déplore la perte d'un ordinateur du travail. Le premier on me l'avait VRAIMENT volé mais on sait comment une réputation ça vient vite.
8h03: En plus mon mari est bientôt au chômage.
8h04: Et toutes les notes prises pendant le colloque sont dans cette vermine d'ordinateur. Ou comment revenir sans son matériel et sans aucune matière pour un éventuel article.
Soit je trouve une solution pour aller le récupérer, soit c'est toute une famille qui va tomber dans la précarité.
8h05: Je prends mon plus beau sourire (= à l'instant présent une grimace atroce) et j'explique dans un charabia indigeste (le stress n'a pas vraiment un effet très positif sur ce qui est de toute façon à la base très très loin du "anglais lu écrit parlé" de mon CV) que c'est une question de vie ou de mort et qu'il FAUT que je retourne au check point où j'ai oublié, triple conne que je suis, mon laptop.
8h06: Le steward m'avertit que le check point est very very very éloigné de la gate E72 (je le SAVAIS que c'était un mauvais signe cette absence de 3) et qu'il ne peut nullement me garantir que l'avion sera encore là à mon retour.
8h07: Je prends ça comme un challenge. Je vais récupérer ce fucking bastard of computer ET réussir à prendre mon avion, what a fucker motheeeeeer.
Tain, quoi.
8h08: Comme dans un film, je bondis hors de l'avion et je me mets à courir comme une damnée. Ok de l'extérieur, c'est probablement un film au ralenti. Il n'empêche que je cours. Ce qui ne m'est pas arrivé depuis 1987 environ.
8h09: Je réalise pendant ma course effrénée que a) l'aéroport de madrid a une superficie équivalente à celle de l'Oregon, b) que je ne suis pas convaincue de savoir où est le check point, c) que je suis partie de l'avion sans papiers, sans carte bleue, sans téléphone. MAIS avec ma carte vitale. Au mieux, je dis bien, au mieux, si je retrouve mon ordinateur, j'aurai douze minutes d'autonomie (le cordon est dans ma valise, ce qui me fait une belle jambe, pourquoi je n'ai pas oublié le cordon, plutôt que l'ordi, ça c'est un des mystères du cerveau humain) pour envoyer un SOS international. Ensuite je pourrai toujours essayer de trouver un psychiatre qui accepte la carte vitale.
8h10: Je vais peut-être finir mes jours dans la zone de transit de l'aéroport de Madrid. Si ça se trouve je vais devenir une sorte de bête sauvage, on fera des reportages sur cette étrange femme qui s'accroche à un vieux PC sans cordon et qui vit dans un caddie.
8h11: Je suis à mi-chemin entre l'avion et ma destination et je n'ai à priori plus que le dixième d'un poumon qui fonctionne. Mon collant est au niveau de mes genoux et un de mes seins semble vouloir arriver avant moi au check point.
8h12: Est-ce qu'on sait quand c'est la fin ? Parce que là tout de même j'ai comme une sorte d'intuition que ma vie ne va pas tarder à défiler devant moi.
8h13: Contre toute attente, j'arrive au check point. Dans un dernier râle je marmonne que je viens récupérer mon computer forgotten a few minutes ago. Un mec de la douane me confirme qu'ils en ont un mais qu'il faut qu'il aille chercher la clé de l'armoire dans laquelle ils l'ont rangé. Il y va en sifflotant, peinard.
Tranquille.
"I AM IN A HURRRRRRRY !!!!!!" hurle-je comme une possédée, jouant mon va tout, consciente que ça va soit le réveiller, soit le convaincre que je suis dangereusement folle et par conséquent bonne pour le gniouf.
8h14: A priori il a décidé d'opter pour la première solution. Il me sort l'ordi qui est donc bien le mien. En même temps il n'y en a pas d'autres dans l'armoire des objets trouvés. Ce qui me confirme que je suis de ce genre de boulet qui ne pullule pas non plus partout. Ce qui est rassurant pour le reste de l'humanité. Pas pour moi.
8h15: je m'apprête à partir à nouveau en courant - même si là j'aimerais vraiment être dans un film et qu'on passe direct à la séquence suivante où je suis en sueur dans l'avion que j'aurais réussi à prendre, à côté de Georges Clooney qui serait en transit entre l'Espagne et la France et qui tomberait raide de moi et des gouttes de sueur qui perleraient entre mes seins à cause de la course poursuite dans l'aéroport. Au lieu de quoi, speedy douanier me barre le chemin en me disant que je dois avant tout ouvrir le computer, l'allumer et faire mon code secret pour vérifier que c'est bien le mien.
8h16: On prend combien en Espagne pour meurtre ? Non parce que est-ce que j'ai l'air assez intelligente pour avoir manigancé tout ça, genre je vais faire la fille qui court comme une dingue à travers tout l'aéroport, faire le pari qu'une oie sans cerveau a oublié son ordi et prétendre que c'est le mien ? Non je veux dire, QUI POURRAIT AVOIR UNE IDEE PAREILLE ?
Manifestement ça a déjà dû arriver, étant donné que le gars est intraitable. "You have to write your password".
8h17: Au point où j'en suis je m'exécute le plus calmement possible ( = en gémissant comme une enfant de trois ans et en tremblant tellement que je me plante deux fois dans le code secret). L'ordinateur met trois jours à s'allumer, je chie sur la gueule à Bill Gates et je lui fais un doigt, au point où j'en suis.
8h18: L'ordi s'allume, c'est le happy end, j'ai envie de rouler un patin au douanier, mais ce dernier qui a lui aussi très envie de moi c'est évident, me hurle "Ok GO ! RUN RUN RUN, your plane is leaving !"
8h19: Je repars donc lestée de trois kilos supplémentaires, vive le parc informatique de 1998.
8h20: En même temps que je tente de me mouvoir dans ce qui ressemble plus à un rampement qu'à une course alerte, il me vient une de ces pensées dont j'ai le secret. Si ça se trouve tout ça c'était un signe. Et je suis en train de me ruer vers mon cercueil. Alors que là haut, mon ange gardien fait des moulinets avec ses petits bras pour m'expliquer que je ne dois pas monter dans l'avion qui est encore plus mité que mon cerveau. Ce qui, si c'est le cas, est la preuve cette fois-ci irréfutable que j'ai hérité du plus crétin des anges gardiens. Parce qu'à mon avis il y avait d'autres options que manquer me faire claquer sur un tapis roulant à l'aube.
8h21: Si je retourne dans le boeing, je perds peut-être ma seule chance d'être à la une des journaux pour avoir échappé au crash le plus meurtrier d'air Europa. Je vois d'ici les titres: "Elle manque l'avion à cause d'un ordinateur oublié au chek point (la conne) et évite ainsi une mort atroce". Et juste en dessous: "parfois l'intelligence ne paie pas, la preuve".
8h22: M'en fous, entre finir mes jours dans un chariot à bagages en étant la risée du monde entier ou exploser au dessus du pays basque, mon choix est fait. ETA me voilà.
8h23: Je me propulse dans l'avion, essoufflée comme un octogénaire tuberculeux et syphillique et pleurant d'émotion.
8h24: A peine j'ai fait deux pas et alors que dans un film avec Georges, je croulerais sous les applaudissements, voire que les passagers me feraient passer de bras en bras avec en fond les hurlement de Gloria Gaynor, à la place de ça, 300 paires d'yeux m'assassinent du regard. Je sais désormais ce que c'est d'être l'objet d'une haine collective.
Je ressens une solidarité incroyable avec Raymond Domenech.
8h26: Je m'assieds et boucle ma ceinture sans la ramener. L'avion s'apprête à s'élancer sur la piste. Et fait incroyable: je n'ai pas peur. Mais alors pas du tout. Je n'en ai tout simplement pas la force.
Edit: Je vous signale l'excellentissime dessin de Pénélope sur un sujet pas si éloigné, qui aurait pu, si j'avais été du genre sans gêne qui ne s'embarrasse pas des droits d'auteur, pu illustrer à merveille ce billet. Rah, quel talent tout de même, cette miss !