Le week end dernier, j'étais donc dans
le midi. Et pour m'y rendre, j'ai pris un avion. Sans vouloir me
vanter - mais quand même un peu - il semblerait que je sois en train de
venir à bout de ma plus grosse angoisse, à savoir voler.
Attention, je pèse mes mots, ce billet pourrait s'avérer être un message d'espoir pour tous les phobiques quels qu'ils soient, que l'objet de leur aversion soient les canards, les pigeons, les crottes de nez, le vomi ou bien encore les craies contre un tableau.
Ça m'émeut.
Sans rire, je suis à deux doigts d'aller remercier le « quelqu'un » que j'étais allée voir il y a de ça trois ans, après avoir annulé à deux reprises un voyage de presse en donnant des prétextes à la noix du style que mon fils avait choppé la malaria. Juste pour ne pas avoir à entrer dans ce qui était alors pour moi un cercueil volant.
La démarche n'était pas évidente, j'ai reporté le rendez-vous une dizaine de fois et quand je suis entrée dans le bureau du gars, je pleurais avant même de prononcer mes premiers mots. Qui furent, dans un sanglot: « Je ne pense pas avoir vraiment besoin de voir un psychologue, c'est juste que j'ai peur de l'avion ».
Trois minutes après je parlais de ma petite enfance et de cette fois où ma soeur m'avait mesquinement piqué mon pain au chocolat.
A la fin de la séance – 25 minutes environ – je ne voulais plus partir, enivrée du plaisir de pouvoir parler de moi, de moi et encore de moi à un professionnel qui avait l'air, je vous assure, totalement subjugué.
Quand à la question "combien je vous dois" il a répondu 105 euros, j'ai mieux compris son air épaté.
A ce prix là on peut avoir l'air concentré.
Je me suis en allée en ayant toujours aussi peur de l'avion.
La seconde fois, je me suis bien recentrée, histoire de rentabiliser ce qui représentait à peu près la moitié du prix de mon canapé Ikéa que je ne me décidais pourtant pas à acheter depuis six mois. Après que je lui ai expliqué que j'en étais à mettre ma carrière en danger par des stratégies d'évitement dignes d'un enfant de quatre ans, il a eu cette phrase digne d'un thérapeute fort d'une dizaine d'années d'études: « La peur n'évite pas le danger ».
ça fera 105 euros.
La troisième et dernière fois, il a ajouté 1) que ma phobie ne ferait que grossir si je ne l'affrontais pas et qu'au rythme où ça allait, dans deux ans j'étais incapable de prendre un ascenseur. 2) toutes ces choses dont j'étais persuadées qu'elles allaient m'arriver quand j'entrais dans un aéroport ou lorsque j'arrivais à une tribune pour m'exprimer en public (tant qu'à flinguer mon PEL j'avais pris la décision de prendre le package multiphobique) n'étaient que le fruit de mon imagination et non de la réalité. Je ne me souviens plus très bien mais je crois qu'il a à nouveau répété que la peur n'évitait pas le danger. Ensuite il a encaissé.
Moi aussi mais pas très bien.
Il n'y a pas eu de quatrième fois parce que je suis de la famille des velléitaires et que j'éprouve une certaine difficulté à aller jusqu'au bout des choses.
J'avais par ailleurs reçus entre temps quelques coups de fil angoissés de mon banquier, désireux de savoir si ces chèques de 105 euros allaient se répéter toutes les semaines, auquel cas il allait falloir songer à un deuxième emploi pour survenir à mes besoins.
C'est là que prit fin ma deuxième tentative psychanalytique. Je vous raconterai un jour la première qui fut encore plus brève.
Inutile de préciser que je n'ai pas vraiment constaté de progrès concernant mon petit problème les mois qui ont suivi. Mais – ça me fait mal de l'admettre – les deux ou trois phrases assénées par cet escroc se sont peu à peu frayées un chemin dans mon cerveau récalcitrant. Et j'ai commencé à reprendre l'avion.
Aussi j'avais épuisé mon stock d'excuses et à moins de m'attaquer à la mort de mes grands-parents - parade à laquelle j'ai renoncé dans un sursaut de maturité - je ne voyais plus trop comment faire pour échapper à l'inéluctable
Et là aussi ça me fait mal mais le fait est que plus je prends ce engins de malheur et moins je panique. Comme si ma peur que je visualisais auparavant comme une espèce de montagne massive et obscure rapetissait à chaque atterrissage réussi.
Voilà, tout ça est très fragile, j'en veux pour preuve que la semaine dernière, j'ai tout de même réussi à oublier dans l'avion la carte d'identité de grande chérie.
Ce qui aurait été tout juste chiant si ce week-end mes deux grands n'avaient pas été censés partir à Londres avec mes parents, ces derniers leur offrant une immersion britannique pour leurs dix ans.
Je profite de ce long étalage de ma vie privée pour vous livrer, après cette incroyable leçon de vie, une deuxième information à toutes fins utiles: il est strictement impossible de faire refaire une pièce d'identité sur le pouce à moins d'avoir un proche en train de mourir ou une raison professionnelle majeure du genre une menace de licenciement.
Mes enfants sont donc restés à Paris, mes parents aussi et je n'en finis pas de m'autoflageller depuis. D'autant que je me souviens très précisément avoir glissé névrotiquement la carte d'identité en question dans la pochette du siège devant moi lorsque l'hôtesse m'a demandé de rabattre la tablette de ma fille avant l'atterrissage. Et qu'il y a fort à parier que si je n'avais pas obtempéré en deux secondes telle une possédée – des fois qu'une tablette rabattue en retard crée des interférences avec la tour de contrôle – en ramassant tout ce qu'il y avait dessus et le bazardant dans un endroit que j'oublierais à coup sûr de vérifier une fois l'avion posé, mes enfants et mes parents seraient à l'heure actuelle en train de chercher leur direction dans l'incompréhensible métro londonien. En baragouinant les deux mots d'anglais qu'ils connaissent ("a plate" et "a glass"). Qui je le crains ne sont d'aucune utilité lorsqu'on veut aller à Picadilly circus et qu'on se trouve à Hammersmith. Genre.
Edit: je précise que ce billet n'est en rien une diatribe anti-psy, je suis juste pas forcément très bien tombée et n'étais surtout pas prête. Mais je sais qu'un jour où l'autre, j'y reviendrai si le besoin s'en fait sentir...