Entre autres équipements demandés par les organisateurs de la colo du machin, il y avait un duvet.
Après avoir constaté, à douze heures du départ, que celui acheté l'année dernière en soldes et en format junior allait le contraindre à dormir avec les genoux sous le menton - cet enfant a probablement mangé beaucoup trop de poulets blindés d'hormones et pris au bas mot 43 cm en un an - et que le seul autre sac de couchage de la maison, amoureusement nommé par le Churros "le gros vert", rapport qu'il est gros et vert et accessoirement même pas chaud remplissait à lui seul le sac du gamin, nous sommes allègrement partis à Go Sport acheter un duvet.
Je sais, on peut se demander où va nous mener ce billet et dans quelle mesure l'achat d'un duvet peut présenter un intérêt.
C'est là qu'on se trompe.
Parce que laissez-moi vous dire que pour s'acquitter d'une tâche apparemment triviale comme l'achat d'un sac de couchage il vaut mieux avoir un peu de temps devant soi. Il en va en effet aujourd'hui des duvets comme des ordinateurs, des smartphones, des poussettes ou des dosettes de café : trop de choix tue le choix.
Déjà, le linéaire dédié à cet objet méconnu et sous-estimé fait environ 2 km. Et encore, j'avais choisi un petit go-sport, au décathlon de la Bibliothèque François Mitterrand, mieux vaut prendre sa journée ou des rollers.
Il y a donc des duvets pour enfants - moins d'1m40 - pour ados - 1m70 - ou pour n'importe quel joueur des Spurs - 2m60. Mais bien évidemment la variété ne s'arrête pas là. Il y a des duvets pour femme et pour homme. Il y en a aussi qui sont conçus pour être rattachés à un autre, au cas où t'aurais une ouverture dans la nuit. Il y a ceux que tu peux zipper jusqu'au menton, d'autres avec capuche intégrée ou oreiller gonflable.
Mais surtout, il y a des niveaux de protection contre le froid. Tu as les duvets pour campeurs du dimanche, qui te garantissent un confort jusqu'à une température extérieure de 12°. Les moins chers, bien sûr. D'autres te tiennent chaud jusqu'à 5°. Et les plus onéreux te permettent de dormir en slip en haut du Mont-Blanc en étant totalement détendu du gland (spéciale dédicace à Nep). Et ceci n'est qu'à moitié une image.
Au départ, n'écoutant que mon coeur de mère - qui à cet instant là n'avait pas encore oublié son fils sur le quai de la gare et avait par conséquent l'illusion d'être à deux doigts de la perfection -, je me suis emparée d'un duvet pour homme avec protection maximale, des fois que le gave de Pau soit caractérisé par un climat polaire passé 23h. Arrivée à la caisse, verdict du code barre: 125 euros.
Que les choses soient claires, j'aime mon fils. Mais enfin, 125 euros, quoi. Pour un objet dont le risque de finir oublié au fond du Gave de Pau est supérieur à l'éventualité qu'il serve pour un second séjour.
Je suis donc repartie dans le rayon, regarder d'un peu plus près ce magnifique sac de couchage un peu trop rapidement qualifié de duvet low cost. A 26 euros en soldes.
Tout bien réfléchi, ce serait étonnant qu'il fasse moins de 12° la nuit en plein mois de juillet, je me suis dit. D'autant qu'il est tout de même spécifié sur l'étiquette que certes le confort maximal est atteint entre 12 et 15°, mais qu'entre 8 et 12°, c'est tolérable. A moins de 8° par contre, le symbole indique quelque chose qui ressemble à ce qu'on voit sur les poteaux de lignes à haute tension. Genre ton gosse il peut MOURIR. Tout ça parce que tu n'as pas voulu faire une rallonge de 25 euros.
J'ai été prise d'un dilemme atroce. Je regardai le rayon d'un air hagard, lisant toutes les notices frénétiquement, calculant les amplitudes thermiques de chaque duvet en les rapportant à leur taille et à leur prix.
Avec dans ma tête, des tonnes de questions : qu'entend-on par tolérable ? Est-ce qu'avec un pull il pourrait dormir sans avoir le froid qui lui transperce les os ? Ou passerait-il ses nuits à grelotter en maudissant sa mère de n'avoir pas choisi un modèle Anapurna ? Et en même temps, celui à 75 euros serait-il forcément mieux ? Est-ce qu'il est préférable d'avoir un peu froid ou beaucoup trop chaud ? Putain, quelqu'un peut-il m'aider, à quelle altitude exactement vont-ils être ? Comment me pardonner si dans deux jours on m'appelle parce que mon bébé s'est réveillé tout bleu avec une température interne de 12° ? Aucune possibilité de me retourner contre ces connards de chez Lafuma, en plus. "Vous étiez PRÉVENUE", me diraient-ils, au service du contentieux, brandissant l'étiquette de 50 cm sur 12 ornée d'une tête de mort congelée.
Alors que j'étais à deux doigts du burn-out au rayon camping du go-sport de la place d'Italie, j'ai soudain aperçu celui qu'il me fallait: un duvet nickel, 1m70, prévu pour des températures comprises entre 6 et 12° et à 42 euros. Je m'en suis emparée, le serrant comme un naufragé attrape une planche de bois. Mon tout petit d'1m47 allait être comme un coq en pâte dans ce bijou... violet.
Merde.
Un coup d'oeil à l'étiquette, et j'avais la confirmation, un authentique duvet femelle. Avec si ça se trouve un soutien gorge intégré, une pochette à tampax ou que sais-je d'autre comme signe distinctif. A tous les coups, personne ne s'en rendrait compte et le machin n'en saurait rien. 42 euros, quoi. Sauf que si ça se trouve, tout le monde s'en rendrait compte et que je m'apprêtais à l'exposer à des humiliations quotidiennes. Tout ça par pingrerie.
Re-menace de burn-out, re-checkage de tous les modèles exposés. Pour finir par choisir en désespoir de cause un duvet compromis, le François Bayrou du rayon, 48 euros, prévu pour une température supérieure ou égale à 10°, bleu marine, taille standard et fermeture éclair montant jusqu'à mi-visage pour protection maximale. Enfin, maximale... jusqu'à 10°.
Consciente de n'avoir pas choisi le mieux pour mon enfant mais relativement en paix avec moi même et surtout épuisée par ce dialogue intérieur avec mon moi tourmenté, je me suis ruée à la première caisse et lâché les 48 euros.
12 heures plus tard, le machin était parti et plusieurs fois dans le séjour j'ai prié pour que les nuits ne soient pas trop fraiches, et qu'elles ne descendent pas, pitié, en dessous de 8°, limite du tolérable à en croire la notice de mon duvet centriste.
Quand je l'ai récupéré, après m'être excusée 67 fois pour ma légère boulette au niveau du calendrier, j'ai osé un timide "Et... tu as bien dormi, le duvet... ça allait ?", suppliant ce dieu soit-disant si miséricordieux pour que mon fils ait au moins été au chaud la nuit à défaut d'avoir été accueilli à son retour dans des conditions normales.
"Ouais, ça va, mais quand même, j'ai eu un peu froid", m'a-t-il répondu.
Seigneur, en plus d'être une dinde pas fichue de retenir une date, j'étais en plus de ça incapable de garantir à mon fils aimé le confort de base. Tout ça pour économiser trois francs six sous.
C'est perdue dans ces pensées douloureuses que j'ai entendu, comme dans un mauvais rêve, la fin de la phrase de celui que j'ai du mal désormais à regarder sans pleurer d'inquiétude pour son avenir. Professionnel, j'entends.
"Ben oui, la nuit, le duvet GLISSAIT par terre, et je me retrouvais en slip. Du coup, j'avais froid".
"Mais... me suis-je étranglée, tu ne l'as pas OUVERT ?"
"Ah, ben non, en fait", a répondu cet enfant qu'on m'a sûrement échangé à la naissance avec un autre qui casse la baraque quelque part en haut du mont-blanc et qui ignore tout de sa vraie famille.
10 ans. Un QI légèrement au dessus de la moyenne et infichu de faire la différence entre un DUVET et une COUETTE.
L'année prochaine il ne coupera pas au soutien-gorge intégré c'est moi qui vous le dis.