Photo d'Ed Alcock
Il y a quelques semaines, j'ai reçu un mail d'une journaliste de Psychologie magazine, me demandant si j'accepterais de figurer dans un article consacré à l'autofiction. Tiraillée entre ma crainte de m'exposer (la bonne blague) et ma vanité excessive, j'ai réfléchi un bon moment (une nano-seconde) avant de répondre que ma foi, pourquoi pas. Rendez-vous fut pris un jour de juin à la pause déjeuner, pour un entretien autour d'un poulet fermier patates sautées.
"Il y aura trois témoignages d'auteurs: vous, une directrice de collection belge et Emmanuel Carrère", m'explique Christine Sallès en préambule. "Groumpf (avalage de travers de mon sot l'y laisse), vous allez rire, j'ai cru que vous aviez parlé d'Emmanuel Carrère", ai-je articulé avec difficulté (va te faire interviewer avec du poulet fermier plein la bouche).
"Oui, oui, lui même en personne, a répondu la journaliste, il n'accepte pas souvent ce genre de chose, mais là, il était ok".
A ce moment là, il a fallu appeler les secours pour me réanimer, je venais d'être victime d'une explosion de melon. Il y en avait partout c'était immonde.
Je me suis pourtant ressaisie, tentant d'oublier pour quelques instants que mon nom serait accolé à celui que je considère comme un des meilleurs écrivains français vivants et dont le dernier livre résonne encore en moi, des mois après que je l'ai dévoré. Comment dire ? ça m'a mis la confiance à un point que lorsque j'ai reçu le numéro de septembre de Psychologie, j'ai réalisé que j'avais du être légèrement présomptueuse durant mon échange avec cette charmante journaliste. Et vas-y que je parle de mon talent, et vas-y que je brandisse mes millions de lecteurs, et vas-y que je gonfle un poil le nombre de commentaires sur mes billets. La prochaine fois, je préfèrerais qu'on m'annonce que c'est à côté de Guillaume Musso qu'on m'a collée, ça m'évitera de me laisser griser.
Ceci étant dit, je me retrouve dans ce qui a été retranscrit, talent revendiqué mis à part, écart vaniteux qu'on mettra sur le compte de mon excitation à l'idée de frôler mon idole, fut-ce sur papier glacé uniquement. Je suis notamment très heureuse de la reprise de mes propos sur l'importance fondamentale que revêtent mes échanges avec vous. Démagogie mise à part, c'est ce qui me pousse tous les jours à écrire ici et c'est probablement ce qui m'empêche d'avancer dans mon projet de roman (la bonne blague bis).
Après l'entretien avec Christine Sallès, il y a eu la rencontre avec Ed Alcock, photographe de son état (et pas des moindres, allez voir son site, le gars n'est pas un amateur). Accessoirement, bombe anglaise aux yeux d'un bleu indécent et à l'accent terriblement charmant. Sans oublier des cheveux poivre et sels. Et ondulés.
Non, je ne crois pas qu'il me lise.
Oui, il semblerait qu'il ait donné l'adresse du blog à sa femme.
En effet, c'est gênant.
Mais il ne s'est rien passé.
Hélas.
Enfin, il ne s'est rien passé, au sens biblique du terme. Parce que sinon, comment expliquer qu'alors qu'on avait passé plus de trois heures à shooter (oui, en français, shooter se dit "tirer", absolument) dans tous les coins de la maison (enfin, le salon et l'escalier, le reste étant impraticable sans matériel adapté), Ed la bombe m'ait rappelé une semaine après pour me dire qu'il s'était produit quelque chose de totalement inédit, à savoir que le miroir de son Hasselbled (mais si, ces vieux appareils argentiques, la crème de la crème des photographes) s'était légèrement déboîté et que toute la péloche était à jeter ?
Tu parles.
Maintenant que tout ça est derrière nous, sache, Ed, que je n'ai jamais avalé (hum) ton histoire à dormir debout. Tu ne pouvais tout simplement pas m'oublier. Comme je te comprends.
Toujours est-il que par conséquent, Ed est revenu une seconde fois. L'occasion pour lui de constater que je n'ai donc qu'UNE tenue shooting, à savoir ma robe monoprix noire en viscose. L'occasion également de se voir confirmer ma totale nullité expressive dès que j'ai en face de moi une personne censée faire ressortir le meilleur de moi même. Il faut dire que Ed - la bombe - me parlait énormément en anglais. A sa décharge, il m'avait demandé si je comprenais et j'avais répondu "lu écrit parlé" (l'habitude de mentir sur mon CV sans doute). (En vrai, j'ai bafouillé "I speak a little bite", ce qui m'a valu un fard pas possible à l'idée qu'il ait pu imaginer que je venais d'émettre un doute sur ses attributs). Douze ans, j'avais.
Trève de galéjades, le résultat de ces deux séances me ravit, je ne vais pas faire ma fausse modeste, pour une fois. Surtout, j'aime cette photo pour tout ce qu'on y voit pas. Ed travaille en effet énormément sur la lumière (ça se sent que ça m'excite quand j'écris ça ?) et donc derrière lui, il y avait un énorme projecteur braqué sur moi. Et nichée sur le canapé, ma fille aînée tendait à bout de bras un réflecteur. Une vraie petite assistante (en pamoison elle aussi) dont la présence bienveillante a sûrement contribué à ce rire que je cache derrière mes cheveux. A moins que ce ne soit une des plaisanteries lancées dans sa langue natale par Ed, à laquelle j'ai pouffé, faisant mine d'en avoir saisi toute la subtilité. Alors qu'à coup sûr il me demandait de croiser les bras. C'est le risque.
En voyant la photo, le churros - qui a vu Ed et l'a instantanément détesté - a eu cette phrase qui résume tout: "putain c'est dingue, on dirait que c'est beau chez nous. Et propre, aussi".
Après, il a ajouté: "Et toi t'es super bonne". Ensuite il a eu des gestes totalement dénués de subtilité mais pas vraiment désagréables. Heureusement qu'il n'avait pas un Hasselbled avec lui parce que je ne vous raconte pas comment qu'on aurait déboîté le miroir.
Alors pour ça, Ed, mais aussi pour cette attitude que tu as su immortaliser et qui je crois me ressemble (d'autant qu'on ne voit pas mon visage), merci. Et une bise à la femme de Ed si elle me lit. Promis, hormis quelques instants de grande tension sexuelle et un léger déboîtement de miroir, il ne s'est absolument rien passé.
Edit: La vérité ? J'ai dans un premier temps trouvé la photo magnifique. Ensuite, j'ai gémi que s'ils avaient choisi un cliché où on ne voyait pas ma trombine c'était probablement parce que j'étais trop vilaine. Après, je me suis bricolé une histoire selon laquelle c'était pour jouer sur le contraste entre la nana qui s'expose sur le web et qui en même temps se cache. Je sais c'est naze mais mon égo est sauf.
Edit2: Par contre je suis très déçue qu'on ne voie pas mes pieds. J'avais mis mes Violettes vertes, quoi.
Edit3: Je tiens enfin à préciser que je n'ai absolument pas 40 ans mais 39 et quelques mois. J'ai d'ailleurs mis un contrat sur la tête de la SR de Psychologie magazine.
Edit4: Merci à Christine Sallès et à Ed. Et aussi à Emmanuel C.
Edit et fin: J'avais fait un minute par minute en deux épisodes sur une séance photo, la première de ma vie. C'est ici et ici si ça vous intéresse. Il y a aussi ce billet qui relate une autre séance, plus... rock and roll.