A chaque rentrée, c'est gagné, on tombe malades en domino dans la famille.
Depuis la semaine dernière, donc, c'est un peu passe à ton voisin, zin, zin, et que je te file le mal de gorge, et que tu me passes ta fièvre, et que je t'emprunte ta jolie toux grasse. Sachant que c'est qui, qui a ouvert les hostilités ? C'est qui, hein, c'est qui ?
Rose herself, of course. Ce qui prouve s'il le fallait que la propagation des virus est potentiellement multipliée par dix en cas de présence à la maison d'un enfant de moins de trois ans, véritable aimant à saloperies.
Bref, Rose nous a fait la totale, angine, otite et sinusite. Ce qui lui a valu le traitement de choc absolu, 6 jours d'antibiotiques.
Celui qu'on prend matin midi et soir.
Pour mesurer la portée de cette prescription, il faut savoir que dès les premières semaines de sa vie, Helmut a fait preuve d'une exceptionnelle perspicacité pour repérer à 10 km à la ronde le moindre médoc. Elle n'a ainsi avalé de bonne grâce qu'une seule fois la vitamine D, pourtant délicieusement aromatisée à l'orange et que mon grand machin tentait pour sa part de siffler en cachette. Idem pour le doliprane en sirop qui rend normalement tout gamin plus hystérique que Kate Moss devant un poudrier bien rempli. Jamais on n'a pu lui desserrer les dents pour y glisser la pipette. Quand je pense qu'on avait quasiment envisagé une rehab pour les grands tellement ils kiffaient l'advil. Comme quoi les enfants se suivent et ne se ressemblent pas.
Si cette intolérance au paracétamol en sirop n'est pas super grave - thanks les suppos, pas hyper bien accueillis non plus mais on finit par prendre le coup de main si je puis me permettre -, le fait que cette gamine à la force herculéenne quand elle se met en situation de combat refuse tout net d'avaler quelque médicament que ce soit est problématique en cas d'attaque bactérienne comme celle-ci.
Dès que le médecin prononce le mot antibiotique, son père et moi blêmissons à la perspective de la guerre - et le mot n'est pas trop fort - qui se profile. Je veux dire, le mouche-bébé, c'est une partie de plaisir entre personnes de bonne compagnie, à côté.
A chaque prise, tout est tenté.
- Tu viens prendre ton médicament ma chérie ? Allez, montre nous comme tu es une grande fille. (valorisation)
- Mmmm, il est bon, regarde, papa le goûte, il l'adore. Maman aussi le goûte ? Allez ! Roh, attention, il est tellement délicieux qu'il n'y en aura plus pour toi... (manipulation)
- Et si c'est ton frère qui te le donne ? Ta soeur ? Et si c'est Doudou ? (détournement d'attention)
- Si tu ne le prends pas, tu vas de nouveau avoir très mal à l'oreille. C'est ça que tu veux ? Avoir tellement mal et devenir sourde ? (alarmisme)
- Bon, très bien ne le prends pas, c'est ton problème après tout mais cette nuit ne compte pas sur moi pour me lever parce que tu as de la fièvre (bluff)
- Ok, je laisse tomber, attends deux minutes, je vais te chercher un petit suisse à la fraise, ceux que tu adores (tentative pathétique de camouflage du médoc dans un autre aliment. Ne marche qu'une fois et encore).
- Rose, si tu n'ouvres pas la bouche, j'appelle le docteur qui va faire sa grosse voix. Ok, j'appelle. Je le fais. Regarde moi bien. Je prends le téléphone et je l'appelle. Je compose le numéro. ça sonne, attention. Ouh, comme il va être fâché, moi je serais toi je me dépêcherais de prendre l'antibiotique avant qu'il décroche. (bluff, bluff et rebluff et ruinage total de la confiance que tu avais réussi à instaurer tant bien que mal entre le médecin et ta gosse)
- Et si je téléphone à manou et qu'elle te parle pendant que je te donne le médicament ? (initiative de la dernière chance).
- Bon, jeune fille, tu l'auras voulu, on part à l'hôpital où on va te faire une piqure. Hé si, c'est comme ça, puisque tu ne veux pas avaler cette putain de merde de sale antibiotique de mes deux, il ne reste que la piqure (menace sans fondement d'autant que l'enfant ne sait pas ce qu'est une piqure. Enfin, si, maintenant elle sait, pour lui expliquer j'avoue, j'ai joint le geste à la parole et je l'ai pincée. Un tout petit peu. Pour qu'elle comprenne. J'étais à bout. C'était juste après la chasse au protège cahier.)
- Si tu ne prends pas le médicament, maman va être très malheureuse. A cause de toi. Regarde, je pleure. (culpabilisation).
Étant donné qu'aucune de ces options ne marche jamais ou plus d'une fois - et je vous épargne les chansons, danses, choeurs familiaux, applaudissements au moindre mouvement laissant entrevoir une ouverture de gosier, cache-caches, vols planés de la pipette, calculs savants pour estimer la quantité effectivement avalée lorsque par miracle le coup du petit suisse marche les deux premières cuillers, etc - nous en venons donc quasi systématiquement à la contrainte physique. Je n'ai pas honte de le dire, je suis bonne désormais pour guantanamo et croyez-moi ils vont les lâcher, leurs infos, les oussamas.
Comment s'y prendre, donc, pour forcer une enfant récalcitrante à avaler son Augmentin ?
Je préfère, avant d'aller plus loin, vous conseiller d'éloigner les enfants du poste, des images pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes risquant d'être diffusées.
La procédure est donc la suivante. Plaquage de l'enfant au sol, immobilisation des membres inférieurs par l'un des parents, ligotage des mains par l'autre et... et rien. Si ce n'est une enfant transformée en bombe à retardement, les yeux révulsés, la morve sortant à grands flots du nez et des gémissements dignes d'une génisse en plein accouchement s'échappant d'une bouche invariablement scellée.
C'est là que je sors ma dernière carte, âmes sensibles s'abstenir: pincer le nez de pupuce pour qu'au bord de l'étouffement, elle soit contrainte de respirer par la bouche. Disposant d'une minuscule fenêtre de tir, je hurle alors mes ordres à mon assistant (le churros) dont je ne sais dans ces moments là s'il agit par responsabilité parentale ou s'il est simplement terrifié par le monstre que je suis devenue et redoute que je l'étrangle avec ses testicules en cas défaut de coopération.
"A mon signal tu enfonces. On attend qu'elle soit bleue et là, tu balances la purée. 3, 2, 1, go, go go soldat ! Mais vas-y putain, appuie franchement. Ne la regarde pas, surtout ne la regarde pas et envoie".
Et là, une fois le liquide introduit dans l'orifice (non ceci n'a rien d'obscène ou si peu) le coup de grâce, LE truc connu de quelques bourreaux qui le pratiquaient en l'an 678 et de deux trois kinés: le blocage de la luette au moyen d'une technique d'étranglement toute en douceur, pour éviter la régurgitation immédiate du soluté. Geste assez délicat néanmoins que nous sommes assez peu à savoir effectuer sans séquelles à long terme et que je vous déconseille de tenter avant de vous être entrainés sur un adulte. Genre votre belle-mère, qui peut s'avérer finalement utile à quelque chose.
Appelez moi Herman Goering.
Au rythme de trois fois par jour, il y a moyen de ne plus pouvoir regarder son enfant sans avoir envie de se dénoncer soi même aux autorités.
Heureusement, j'ai très récemment trouvé une alternative aux sévices corporels.
La solution est certes humiliante, mais il faut avant tout penser au bien de son enfant, mon égo maternel dusse-t-il en prendre un coup. Il s'agit d'une option bien connue des managers les plus aguerris. Elle tient en un mot:
DÉLÉGUER.
En l'occurrence à la nounou. Qui m'a glissé - la hyène - qu'avec elle Rose prenait sa dose en trois secondes. Qu'à cela ne tienne, voilà qui est plié, tenez, prenez les trois boîtes, sans rancune, avec un peu de chance comme ça elle finira par me préférer à vous.
Le week-end ? La nounou habite à deux pas. Pratique. Comme quoi ce n'est pas si difficile d'être parents. Le tout est de savoir s'entourer, en somme.