Si j'ai aimé le dernier Despentes ?
Oui, incontestablement. Les trois premiers quarts. La fin m'a un peu déstabilisée, trop radicale, trop no future pour moi. Mais j'ai envie de dire que ce n'est pas l'essentiel et que même peut-être, on s'en fout.
Parce que l'intérêt d'"Apocalypse Bébé" est ailleurs.
Dans l'expression d'un désespoir qui me parle. Dans la dénonciation des mécanismes qui broient les âmes fragiles. Dans les portraits sans concessions mais sans jugements non plus d'une brochette de personnages hauts en couleurs. Dans un road movie tragicomique, dans la relation qui se noue entre une détective tricarde et une mercenaire lesbienne à laquelle personne ne résiste.
Apocalypse Bébé ne ressemble à rien de connu. Le style est violent, mais moins que la société de consommation dont la perversité sue à chaque page. L'obscénité n'est pas toujours où on le pense.
J'ai aimé aussi les descriptions hyper crues d'une partouze saphique dans un squatt à Barcelone. J'ai été émue par la fuite désespérée de Valentine, l'adolescente fugueuse recherchée par les deux enquêteuses. Parfois un peu agacée par certains raccourcis sur le mode "l'hétérosexualité est aussi naturelle que les enclos électriques dans lesquels on parque les vaches" (phrase citée de mémoire, on m'excusera).
Mais surtout, je crois que ce que j'apprécie le plus dans le dernier Despentes, c'est... Despentes. Son interview dans Grazia est d'une sincérité rare et chère. Elle y avoue sa difficulté à être heureuse, parle de son métier sans fausse pudeur ou modestie. Une grande fille trop sensible et qui ne minaude pas. Quelqu'un de bien, il m'a semblé.
Alors voilà, je ne saurais que vous encourager à lire Apocalypse Bébé, ne serait-ce parce que lorsqu'on lit Despentes, on a la sensation de croiser le chemin d'un écrivain.
Pas celui d'une de ces moultes trentenaires au minois délicat dont les oeuvres insipides et immédiatement oubliables encombrent les Fnacs et autres librairies. Franchement, ça ne vous interpelle pas, vous, le fait que désormais, les auteures aussi, doivent être baisables pour être vendables ? Et je parle des auteures, mais la gent masculine n'échappe pas au phénomène. La majorité des jeunes écrivains ressemblent à des jeunes premiers.
Je ne dis pas que pour avoir du talent il faut être un tas. Mais je ne peux pas croire non plus que subitement, ceux qui ont ce don sont tous devenus des canons. Je crains hélas que désormais il soit plus que conseillé de glisser une photo avantageuse de soi avec son manuscrit pour éveiller l'intérêt des éditeurs. Qu'est-ce que tu veux, bébé, pour vendre, il faut ce qu'il faut...