J'ai toujours détesté les squares. Enfin, ce n'est pas exact, du temps où je n'avais pas encore d'enfants mais où ça me travaillait sévère (toute cette merveilleuse période durant laquelle je tentais d'envoyer tout un tas de messages subliminaux au churros ("roh, regarde comme ce bébé est craquant", "tu sais qu'à partir de 28 ans la production d'ovules est divisée par dix ?", "Je pense qu'on devrait acheter un monospace, parce qu'un jour ou l'autre...") celui-ci s'appliquant à ne rien capter tout en comptant névrotiquement les pilules de ma plaquette, persuadé d'être un futur dindon de la farce (ce qu'il fut)), j'idéalisais totalement les squares.
Il faut dire que ma référence absolue en la matière était "Martine petite maman". L'album dans lequel l'héroine pétainiste de mon enfance garde (à 10 ans) son petit frère Jean. Un baby-sitting totalement irréaliste qui consiste à promener toute la journée un bébé constamment hilare dans un landeau fabuleux mais passablement encombrant. Tout ça donc dans le jardin public, peuplé de femmes incroyablement élégantes et prêtes à aider la petite Martine, toutes émotionnées qu'elles sont par le chérubin.
Forcément, ça marque.
Donc dans mes fantasmes de jeune fille en fleur qui ignorait encore la signification de l'expression "bouchon muqueux", le square était une sorte de showroom en plein air dans lequel les mamans venaient exhiber leurs rejetons et éventuellement bouquiner au soleil pendant que leurs adorables petites têtes blondes faisaient des pâtés de sable.
Et puis j'ai eu des enfants.
Et logiquement le square est devenu mon cauchemar.
Parce qu'en réalité, jamais personne ne vient s'y attendrir devant tes gamins, rapport qu'on est toutes logées à la même enseigne quand on se pointe au jardin public. A savoir qu'on connait TOUTES la signification de l'expression "bouchon muqueux". Ainsi que "coliques du nourrisson", "terrible two", "impetigo", "vermifuge" et la liste est longue.
Autant dire qu'on s'en bat la nouille de la tronche du nouveau qui dort dans son berceau. Au mieux on envie sa mère qui a la chance d'avoir un bébé qui roupille. Mais de là à aller lui proposer nos services ou même la complimenter sur son petit crapaud, des clous.
Tout ce qu'on demande au square, c'est que le notre, de gamin, nous foute la paix. Ce qui n'arrive jamais. Soit on a pondu des enfants souffrant d'un déficit évident de coordination (c'est mon cas), et il faut sans cesse les récupérer en équilibre en haut d'une échelle, à moitié étranglés par la corde de la balançoire, du sable plein des yeux qu'ils ont réussi à s'envoyer dans la figure tous seuls, ou, mon préféré, la lèvre à moitié éclatée par le poney monté sur ressort (qui peut aussi prendre la forme d'un canard ou d'une moto) qui est à mon sens l'invention d'un type qui nourrit une aversion congénitale pour les moins de 3 ans.
Autre option, l'enfant qui cogne tout ce qui bouge. Ce qui te contraint à aller t'excuser platement auprès de tous les parents présents, lesquels sont probablement secrètement ravis que quelqu'un en ait enfin collé une à leur affreux rejeton mais qui ne vont pas manquer cette formidable occasion de prendre un air indigné pour t'accorder leur pardon du bout des lèvres. Quand ils ne te devancent pas en allant pourrir ta chair de ta chair, ce qui te transforme malgré toi en louve enragée. Je veux dire, moi j'ai le droit de traiter mes enfants de nazis, mais les autres même pas en rêve qu'ils puissent sous-entendre que ma fille a un léger problème de sociabilisation (alors qu'en réalité elle cherche simplement à établir un contact avec l'autre, parfois un peu maladroitemnt). Et que ma douce enfant ait ruiné les chances de la petite blondinette à son papa d'être un jour top-model (tout au moins le temps que la moitié de la chevelure arrachée repousse, ce qui devrait prendre toute une vie) n'y change rien.
Il y a également l'enfant qui prend les jouets de tout le monde - étant entendu que le square est sous le régime de la communauté des biens, surtout du point de vue des parents qui oublient systématiquement le combo bac à sable à la maison - mais qui ne veut jamais rien prêter. Avec ce spécimen, tu fais une croix sur la tranquilité. Tu passes ton temps à aller rendre ce qui ne t'appartient pas et à tenter de persuader ton gamin de partager - pour une fois - son ballon.
Ne parlons pas des casse-cou, qui te font prendre des suées toutes les trois minutes - je passe personnellement mon temps au square à avoir des flashs atroces de ma fille décapitée par un tourniquet qui aurait pété une pile ou de mon fils amputé pour cause de pont de singe qui s'effondre brutalement sur lui. Mes copines se fichent de moi et me conseillent régulièrement de me détendre mais la seule fois où j'ai essayé de les écouter et de baisser ma garde, j'ai, alors que je venais de m'autoriser à feuilleter d'un oeil distrait mon Elle, vu arriver un père de famille - responsable, lui - tenant dans ses bras ma fille aînée, âgée à l'époque de trois ans et à moitié inanimée, demandant à la ronde à qui était cette enfant qui venait de louper le premier virage du toboggan de la mort interdit au moins de dix ans et d'effectuer donc un vol sans parachute de trois ou quatre mètres. Sachant que jusque là cette vermine arrivait à peine à monter sur un trottoir sans se mettre à quatre pattes. Mais qu'elle avait grimpé en haut d'une échelle vertigineuse en moins de temps qu'il n'en faut à un pigeon pour te chier sur la tête. Depuis je suis plus vigilante qu'un pitbull, prête à m'élancer au moindre déséquilibre de ma progéniture.
Bref, au square, tu oublies pour toujours ton bouquin que tu ne peux absolument jamais sortir de ton sac ou alors juste pour faire genre. Sachant que durant les rares minutes de félicité ou tes marmots s'occupent tranquillement à jouer aux billes SANS S'ENGUEULER OU AVOIR L'IDEE SAUGRENUE DE LES AVALER, il se trouve toujours une mère en mal de conversation passionnante sur le menu de la cantine ou l'âge auquel le sien a su monter seul sur la balançoire ( bien avant ta demeurée de gamine qui à six ans a toujours besoin qu'on la cale sur la planche).
J'ai donc toujours détesté les squares, disais-je.
Mais depuis hier je pense que j'en ai fini pour toujours avec cet antichambre de l'enfer.
Parce qu'hier, Helmut, qui est "propre" (= qui CROIT qu'elle n'a plus besoin de couches) n'a rien trouvé de mieux que de s'arrêter juste en haut du toboggan, une dizaine de marmots aglutinés derrière elle, pour y pisser l'équivalent du lac d'Annecy.
C'est assez fascinant, une rivière de pipi dévalant d'un toboggan.
Le plus étonnant étant que ça coulait AUSSI le long de l'échelle. Et qu'il y avait pour couronner le tout, une marre sur la plateforme. Au milieu de laquelle ma petite chérie (j'ai bien songé m'en aller en courant en jurant sur la bible que ce réservoir à pipi n'était pas à moi mais quelque chose - l'instinct maternel ? - m'en a empêchée) était littéralement pétrifiée, n'en revenant visiblement pas elle même de la quantité de liquide qu'un corps comme le sien peut contenir.
Bien sûr je n'avais (enfin, Zaz avait) que TROIS kleenex pour tenter de réparer la petite boulette. Autant essayer d'écoper le titanic avec un dé à coudre.
M'enfin, une fois rose exfiltrée du lieu du crime (et ça n'a pas été une mince affaire), on a tenté tant bien que mal d'éponger, un vrai moment nutella.
Tout ça avec en bruit de fond les cris paniqués des parents des enfants, leur ordonnant de faire immédiatement demi tour (à croire que ma fille venait d'inonder le toboggan d'un liquide hautement radioactif). Les dits enfants trouvant bien sûr hilarant de patauger à quatre pattes dans la flaque d'urine encore chaude. A mon avis, il y a une charia contre moi dans tout le 13e arrondissement.
Sur ce, je vous laisse, j'ai comme une blessure narcissique à panser.