Samedi, on fêtait le passage à Paris d'un ami parti vivre à l'autre bout de la terre, emmenant avec lui toute sa petite famille. Au pied levé, on avait appelé les copains pour une bouffe plus ou moins improvisée (à savoir que même notre mariage avait un côté improvisé à vrai dire, donc en réalité, rien n'est jamais vraiment préparé chez moi en matière de réception).
On était sept et autant d'enfants, de 3 mois à 10 ans. Un gros bordel dans notre appartement parisien qui bien que plutôt grand est malgré tout toujours trop petit quand 14 personnes doivent y trouver une place. Ce qui pour ma part ne m'a pas dérangée, je loge en général dans ces cas là dans la cuisine, une clope et/ou une coupe à la main et un vague plat à surveiller.
A bien y réfléchir, dans les appartements parisiens ce qui devrait toujours être plus grand c'est la cuisine, the place to be à la moindre fête. On peut dire ce qu'on veut, les fumeurs sont des leaders.
Pardon.
Il y avait donc du bruit, des pleurs, des cris, des rires, Kirikou en bruit de fond qu'aucun des enfants pour lesquels on l'avait mis - dans l'espoir de les canaliser - ne regardait mais que personne ne songeait à éteindre. Il y avait une pizza surgelée pour les kids qui avait attaché à la grille du four ("c'est pas grave on dirait des lasagnes", ont assuré les grands, de bonne composition), une côte de boeuf qui n'en finissait pas de cuire au point d'être à deux doigts de l'être trop. Cuite. Les patates quant à elles, avaient beau rissoler depuis 18h, manquaient de fondant. A croire qu'elles avaient décidé de m'emmerder.
Je crois pouvoir affirmer que pendant cette soirée, aucune conversation n'a pu être tenue plus de 17 secondes (à peu près le temps qu'il faut à des petites filles de 2 ans pour trouver une nouvelle idée de connerie ou une raison de s'écharper) et que la qualité réelle du repas n'était pas supérieure à celle d'un resto U. (Exceptés la salade, les cookies et le fondant au chocolat mais qui n'étaient pas de moi) (je n'en tire aucune conclusion mais c'est étonnant comme mes amies, lorsque je lance les invitations, tiennent absolument à apporter une partie du repas) (je veux dire, elles insistent vraiment).
Il manquait en permanence un couvert sur la table et on avait oublié d'acheter du pain. Ce qui s'est avéré moyennement grave, vu que le reblochon avait pris un coup de vieux qui le rendait assez peu mangeable.
La benjamine du groupe, 12 semaines au compteur, qui normalement ne fait jamais d'histoires pour dormir, a choisi ce soir là pour le lancement officiel de la fameuse angoisse de la nuit qui tombe. Elle est passée de bras en bras, le temps que sa maman puisse avaler trois bouchées.
Une soirée comme tant d'autres chez nous, en somme, dont on ne peut pas vraiment dire si elle était réussie ou complètement ratée. Pourtant, à un moment, je nous ai regardés, tous, comme si le temps d'un battement de cils, je me trouvais au dessus, à observer cet étrange ballet, ces verres rattrapés juste avant qu'ils ne touchent le sol, les larmes d'un bambin pour une sombre histoire de doudou pas prêté séchées à grand coup de moelleux au chocolat, une tresse tirée subrepticement, pas vu pas pris, une accolade virile mais qui voulait dire tu m'as manqué, des aveux soufflés entre deux portes sur la difficulté de tout gérer, des verres passant de main en main, le tout rythmé par les calvalcades des enfants dans les escaliers.
Je nous voyais, donc, beaux et fragiles, sereins ce soir là mais inquiets demain, à moins que ce ne soit le contraire. Je me suis dit que je n'ignorais rien ou presque des secrets de chacun et qu'eux savaient tout ou presque des miens. Les bébés qui mettent du temps à venir, ceux qui sont arrivés trop vite, les plans sociaux qui font chier, les examens médicaux qui parfois ne donnent pas de bonnes nouvelles, les envies de vivre ailleurs, les décisions de changer de vie en passe d'être prises. Rien n'en serait dit ce soir là ou brièvement, mais l'essentiel était que les uns et les autres, nous nous en soucions.
Juste avant de redescendre de mon nuage et de regagner la bruyante assemblée, j'ai eu cette dernière pensée. J'étais à ma place, là tout de suite. Ces joyeux drilles étaient mon noyau dur. Il en manquait quelques uns, deux en l'occurence qui n'avaient pu faire le chemin, un peu plus, même, parce que le noyau a de belles ramifications à Lyon ou Bordeaux. Mais voilà, dans cet appartement chamboulé, il y avait ceux dont l'amitié est le meilleur des garde fous.
J'écrivais la semaine dernière que j'enviais ceux qui savent qu'ils sont au bon endroit. Samedi, j'avais pour ma part consicence d'être avec les bonnes personnes.