Ce billet a été écrit des dizaines de fois. Dans ma tête. Ça me donnait du courage, je pensais, quand tu l'auras fait, parce qu'un jour tu le feras, tu auras la joie de l'annoncer, tu seras fière de toi.
Et puis maintenant que le pas est franchi, je ne sais pas par où commencer. Comme dirait Despé, c'est un texte qui pourrait n'avoir ni majuscule ni point final tant je viens, volontairement, de me propulser dans l'incertain.
Je ne sais donc par où commencer et je n'ai aucune idée de là où cela finira. Et étrangement, alors que j'ai eu peur - très très peur - avant, là je suis plutôt calme. Presque sereine (quand je ne suis pas complètement flippée, fumant clope sur clope et appelant tout ce que la terre compte d'amis pour leur demander si je n'ai pas eu tort).
Ce que j'ai fait ?
Mardi matin sur les coups de 11h, j'ai pris une grande inspiration. Je me suis avancée vers le bureau de mon rédacteur en chef et j'ai ouvert la porte. Je l'ai refermée derrière moi. Je l'ai regardé dans les yeux, j'ai essayé sans succès de calmer le tremblement de ma voix en regrettant intérieurement de n'avoir pas avalé au préalable un petit bêta bloquant (j'aimerais vous dire que j'étais "clean" volontairement, pour avoir la totale maîtrise de mon esprit, la vérité c'est que j'avais oublié le médoc à la maison). Je l'ai regardé, donc et la gorge étranglée, j'ai prononcé ces mots qui restaient bloqués dans ma bouche depuis maintenant deux ans.
"Je démissionne".
Pour certains d'entre vous, ce n'est peut-être pas grand chose, pour moi c'est l'équivalent d'un saut à l'élastique. Sans élastique. Ni filet.
Depuis que j'ai fini mes études, j'ai été la parfaite employée modèle, ne quittant un boulot que pour un autre CDI bien sécure. Je n'ai jamais vraiment eu à chercher du travail. Je n'ai pas énormément de mérite si ce n'est d'avoir su saisir les occasions qui se présentaient au moment où il fallait le faire. La contrepartie, c'est que sur les trois postes que j'ai occupés, seul le dernier m'a apporté une réelle satisfaction.
Pendant ces huit dernières années, j'ai appris le métier de journaliste, dans une agence de presse. J'ai fini par hériter d'un titre un peu ronflant, "rédactrice en chef adjointe", spécialisée dans les questions d'enseignement supérieur. Autant dire que j'étais sur les rails de la prospérité, quoi.
Seulement voilà, il y a cinq ans, j'ai créé ce blog, aspirant à écrire sur autre chose que l'autonomie des universités ou le programme erasmus. Non que ça ne m'intéresse pas, seulement j'avais en moi tous ces mots qui ne pouvaient pas vraiment cotoyer ceux de mes dépêches (Valérie Pécresse et mère nature la truie, il y avait comme un hyatus). J'ai créé ce blog, donc, pensant qu'au mieux dix personnes viendraient le lire. Sauf que les dix sont vite devenues cent, puis mille, puis... Puis beaucoup aujourd'hui. Parrallèlement, il y a eu les bouquins pour Hachette, écrits à l'arrache, le week-end ou le soir. Il y a eu aussi ce grand projet, qui a failli aboutir et qui a finalement connu quelques embuches, mais qui ne demande qu'à renaître de ses cendres encore chaudes. Il y a cette envie d'écrire de la fiction. Il y a des collaborations avec des journaux qui correspondent aujourd'hui bien mieux à mes aspirations et que je n'ai pas pu mettre en oeuvre parce qu'autant le reste ne me semblait pas contrevenir à mes engagements professionnels, autant écrire pour un autre support de presse ne me parraissait pas être très loyal.
Il y a deux ans, quand il a fallu revenir de congé maternité, j'ai eu l'impression qu'on m'amputait littéralement de mon bébé. J'ai failli appeler au boulot et leur dire que non, je ne pouvais pas, pardon, désolée, laissez moi partir. Le churros m'en a dissuadée, pensant, à juste titre, que ce n'était pas une bonne raison, que ça s'appelait de la fuite, qu'il fallait y retourner au moins un jour pour en être sûre. Alors j'ai fait taire cette voix qui me hurlait de rester avec Rose et j'ai mis entre parenthèse mes rêves d'indépendance. Mois après mois, j'ai repris du plaisir au boulot, mais ce n'était plus "ça".
La petite voix s'est fait entendre à nouveau, plus insistante, moins affective, plus sûre d'elle. Il n'était plus question de rester avec mon bébé, il n'était plus question de fuite. Elle me suggérait plutôt qu'il y avait d'autres horizons, que c'était risqué, certes, mais qu'il y avait peut-être une possibilité pour moi de vivre autrement, que si je ne tentais pas le coup, je le regretterais toujours, que si je ne me mettais pas à écrire ce livre qui sommeille en moi, j'aurais l'illusion pour toujours d'être un écrivain contrarié, alors que si ça se trouve j'en suis tout bonnement incapable, mais autant le savoir.
Au départ, c'était une sorte de rêve agréable, de pensée rassurante dans les moments compliqués avec certains de mes supérieurs. "Je m'en fous, un jour je vais partir, de toutes façons, vas-y, parle moi mal, tu le regretteras quand j'aurai mon goncourt, tu auras l'air super con quand je passerai chez Taddei". Je passe sur tous ces moments où j'ai vécu virtuellement mon pot de départ, avec mes chefs sanglotant après mon discours poignant (alors que je sais à peine ânonner trois mots devant une assemblée). Mais la pensée agréable est devenue ces derniers mois plus qu'obsédante. Pas une soirée entre amis sans évoquer le sujet, "est-ce que je me lance, tu crois, non, je ne pourrai jamais, la précarité, trois enfants, tout ça, mon niveau de vie, j'aime mon confort, mais je m'emmerde, tu as raison, il faut que je le fasse, mais pas tout de suite, le mois prochain, j'attends un peu, d'être vraiment sûre". Tous les soirs ou presque avec le churros, c'était aussi sur la table. Jusqu'à l'overdose, la nausée, le sentiment d'être perdue, entre deux gués, incapable de choisir, de décider.
Ce qui a fait pencher la balance mardi ?
Je ne saurais l'expliquer. Je me souviens qu'un jour, j'avais demandé conseil à AnneSo, qui venait de quitter son boulot pour se mettre en free lance. Elle m'avait répondu: "tu le feras quand tu sentiras qu'il n'y a pas d'autre issue, que c'est plus fort que toi".
Je crois que c'est ce qui s'est passé mardi. C'était plus fort que moi, plus fort que la peur des lendemains qui déchantent, plus fort que le principe de réalité, que ma phobie du chômage. Mardi, je me suis dit, si tu ne le fais pas aujourd'hui, tu ne le feras jamais. Tu n'aurais jamais plus de bonnes raisons pour prendre cette décision que tu n'en as ce matin. Et les raisons de ne pas le faire ne seront jamais moins nombreuses.
Aujourd'hui ou jamais.
Et ce "jamais" a sonné comme une condamnation à perpétuité. Alors je me suis levée, j'ai franchi la porte de ce bureau et j'ai prononcé ces mots.
Depuis, je suis pétrie de sentiments contradictoires, mais celui qui domine reste l'immense soulagement d'avoir pris une décision. Bonne, mauvaise, seul l'avenir me le dira. Certains voyants sont au vert et je ne veux prendre en considération que ceux-là. Maintenant que j'ai sauté, je n'ai pas d'autre choix que de croire que c'était la meilleure chose à faire...
Edit: Qu'on ne se méprenne pas, je n'ai pas démissionné pour vivre de mon blog. Je souhaite plus que tout pouvoir m'y consacrer plus qu'avant mais je ne veux pas qu'il devienne ma source de revenus principale. Il y aura, comme ce fut le cas ces derniers mois, des billets sponsorisés, mais pas plus qu'avant, tout au moins je l'espère. J'ai mis en route des collaborations dont je vous reparle très vite (une seule chose à la fois) et je vais partir en chasse de nouvelles.
Edit2: Je sais que ce genre de décision ne peut pas remporter l'adhésion de tous, qu'elle comporte son lot d'irrationnel et de déraisonnable. Mais je vous serais super reconnaissante de ne pas me l'asséner trop brutalement, je fais ma bravache mais je suis très très très perméable aux avis contraires. Or aujourd'hui, il est trop tard pour reculer !
Edit3: J'ai été longue et pas drôle, j'avais hésité entre ça et un minute par minute. Peut-être bien que je l'écrirai aussi, d'ailleurs. Mais il fallait que je couche tout ceci sur mon écran, pour le réaliser et le partager avec vous, dont le soutien m'a permis de mettre en oeuvre cette fucking résolution. Oser, quoi !