J'ai toujours été une jouisseuse. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours couru après le plaisir, faisant de cette quête le but ultime de mon existence et de mes journées. Un plaisir n'excluant d'ailleurs pas l'effort ou la souffrance, mon éducation judéo-chrétienne m'a permis d'intégrer très tôt cette idée de devoir "mériter" le réconfort, qu'il prenne la forme de vacances, de bonne chère ou de la chair.
Il n'empêche que l'ascétisme n'a jamais été ma tasse de thé, la mélancolie ne me caractérise absolument pas, ni l'ennui que je ne connais que peu, trop occupée à poursuivre la félicité.
Bien sûr, tout ça passe prioritairement par l'oralité. D'où mon léger problème de poids, on s'en doutera. Je ne connais pas plus grande jouissance que celle de la première bouchée de chocolat, ou, hélas, de la première bouffée d'une cigarette longtemps attendue.
Pour être plus exacte, je ne connaissais pas, de plus grand kiff que ceux-ci avant d'avoir découvert l'orgasme, sur le tard, comme je m'étais d'ailleurs plu à le raconter il y a longtemps de cela - seigneur quand je pense que je pousse le vice à resignaler ce billet, je dois être malade.
Depuis que j'ai commencé ma thérapie avec le docteur Zermati, il m'a fallu trouver d'autres sources de plaisir, d'autres façons de pimenter ma vie qu'en descendant des tablettes de milka ou grillant clope sur clope. Je vous vois venir, il reste la troisième solution qui à priori n'encrasse pas les poumons et ne pèse pas sur les hanches, mais figurez vous que le churros travaille et que l'onanisme a ses limites, tout de même.
Bref, en apprenant à écouter mes sensations, en n'étant plus dans la quête permanente de ces shoots de sucre ou de nicotine, j'ai forcément du trouver non pas des palliatifs mais plutôt d'autres façons de mettre du sel dans mes journées. Ce qui m'a fait m'interroger très sérieusement sur ce qui me meut, sur ce qui peut satisfaire ce besoin insatiable de jouissance.
Les premiers temps, j'ai consommé. Acheté tout et n'importe quoi, avec d'autant plus de jubilation que subitement je parvenais à entrer dans des tenues improbables. Mais je me suis lassée, d'autant plus que ma nouvelle vie me fournit moins d'occasions de me pavaner et avoir une nouvelle tenue qu'on ne peut montrer qu'à son gardien constamment bourré, perd vite de son intérêt.
Il y a eu ensuite les séries télés. Je suis assez lucide quant à ma capacité à devenir accro, et j'avoue, les petites merveilles addictives pensées par les scénaristes américains ont clairement compensé la baisse de mes apports caloriques. Sauf que là, je suis en rupture de stock. Mais également un peu écoeurée. La culpabilité qui te saisit après t'être enfilée d'affilée douze épisodes de Brothers and Sisters est en effet assez comparable à celle éprouvée après un craquage à la boulangerie.
Sans compter qu'à trop se noyer dans ces histoires sans fin, on risque de perdre le fil de sa propre vie, tout au moins c'est ainsi que je l'ai finalement ressenti.
N'existe-t-il donc pas de jouissance qui ne soit nocive ?
Il y a bien évidemment ce que m'apporte l'écriture. Qui porte en elle une dose de souffrance nécessaire à la satisfaction qu'elle provoque. Il y a l'adrénaline de cette vie de free lance, l'excitation d'une nouvelle collaboration, que contrebalance l'angoisse qu'une autre s'arrête. Ying et yang, toujours. Il y a mon homme et nos ébats, moins fréquents, évidemment, qu'il y a quinze ans mais plus... intéressants. Je crois. Il y a mes enfants, leurs étreintes et ce besoin de moi qu'ils ont. Les amis, la famille, les voyages, les découvertes, le moelleux d'un lit d'hôtel, la pression parfaite d'une douche de palace.
Et puis il y a eu, ce week-end, comme une promesse d'une autre jouissance. Cette heure passée dans ce jardin catalan. Allongée sur un banc, un rayon de soleil chauffant mon corps à la température idéale, une légère brise soufflant sur mes jambes, j'ai lu le dernier livre de Siri Hutsveldt, "Un été sans les hommes". Non loin de moi, le mien, d'homme, dormait comme un enfant. Il n'y avait personne dans ce jardin, lorsque je levais les yeux ce n'était que camaieu de vert sur fond bleu. Je ne sais pas si ce sont les mots de cet auteur que j'aime un peu plus à chaque ouvrage, la respiration régulière de mon mari à mes côtés, les effluves de pins et d'eucalyptus, la perspective de ces deux jours à flaner sans contrainte ou encore cette assurance de retrouver, très vite, toute ma portée, mais l'espace de quelques minutes, il m'a semblé que j'avais atteint ce point d'équilibre souvent recherché, sans succès. Tout était à sa place, moi la première.
Et sans manger, fumer ni baiser, j'ai éprouvé du plaisir. Un plaisir inédit, une jouissance non pas du corps mais de mon esprit, quelques secondes de ce qu'on doit pouvoir appeler la sérénité. Et le plus merveilleux dans tout cela c'est la conscience absolue que j'ai eue de cet instant. On dit souvent qu'on réalise à quel point on a été heureux une fois que c'est terminé. Pour une fois, j'ai eu la sensation d'être en parfait accord avec mon ressenti et la réalité.
Le temps de me le dire et le churros s'est réveillé. Je suis retournée à ma vie avec un léger pincement au coeur, l'impression d'avoir vécu quelque chose d'une fragilité absolue mais néanmoins d'une importance capitale.
J'aurai toujours ça, me suis-je convaincue. Un banc, un livre et un rayon de soleil. Et en même temps, je le crains, je n'aurai plus jamais très exactement "ça".
Edit: Rassurez-vous, je ne prévois pas dans l'immédiat de mettre une toge orange et de chanter Hare Krishna dans les rues.
Edit2: Rien à voir mais il y a une interview de moi sur Mon Bazar Vert, l'interview verte du mois. Et toujours sur mon bazar vert, la nouvelle collection de sacs est arrivée. Je craque personnellement sur le "Nouvelle vague". Et je ne suis pas intéressée aux ventes, je précise.