Hier je déjeunais avec une amie et consoeur - dans un petit restaurant niché derrière la place du Châtelet, "La robe et le Palais" de son petit nom. Je passe assez rapidement sur la déliciosité du menu pour un prix tout à fait abordable et je ne m'étendrai pas sur ce dessert mortellement bon, dont l'intérêt résidait tout autant dans le coulant du mi-cuit - pas un vulgaire surgelé comme trop souvent - que dans cette glace "praline et rose" entrée immédiatement au patnhéon des meilleures choses avalées de toute ma vie. Une adresse que je vous recommande plus que chaudement, il est désormais si rare de ne pas repartir d'un resto parisien sans cette amère impression d'avoir été délesté de son argent pour pas grand chose.
Bref, je déjeunais avec cette amie qui me fait en plus la grâce de m'alimenter non seulement en crème glacée mais aussi en bouquins (une bonne vingtaine au bas mot, va y'avoir de la critique littéraire sur ces pages) (c'est un peu son métier de parler des livres, c'est pour ça). Et elle m'a posé cette question: "mais alors dans ce que tu fais, qu'est-ce qui t'éclate le plus ?".
J'ai beaucoup réfléchi, pour finir par énumérer les unes après les autres quasiment toutes mes activités. A deux ou trois exceptions près, il faut bien bouffer.
Bien sûr, je peux hierarchiser et clairement mes articles pour psycho, pour cosmétique mag (un canard pro sur l'industrie de la beauté qui me permet d'appréhender le sujet sur un angle éco), le blog et mes projets d'écriture tiennent la corde. Mais le reste me plait aussi, même les petits travaux vite faits, les expériences dont je sais qu'elles ne constituent que des one shot. En fait je crois que je suis tellement contente qu'on me sollicite que je trouve toute tâche qu'on me confie pleine d'intérêt. Je vous rassure, ça ne m'empêche pas de souffrir tripes et boyaux lorsqu'il s'agit de commencer un article ou de me mettre sérieusement à écrire (pourquoi, mais pourquoi s'infliger ça nom d'un chien ?). Mais fondamentalement, je me sens... à ma place. En n'en ayant finalement pas vraiment, de place. C'est tout le paradoxe.
Je crois que ce qui me rend si légère, c'est de ne plus être parasitée par ces vélléités de défendre ma position à l'intérieur d'une équipe, par tout ce qui fait l'essence même de la vie en entreprise, les luttes d'influence et de pouvoir, l'obsession d'être "bien vue". Je ne m'en rendais pas forcément compte je crois, mais cela devait me peser bien plus que je ne pensais. Le revers de la médaille, c'est bien sûr de ne plus faire "partie de". Mais peut-être est-ce de toutes façons illusoire ce sentiment d'appartenance. C'est en tous cas ce que m'inspirent les récents départs brutaux d'anciens collègues qui semblent se passer dans une relative indifférence, comme si les années consacrées à sa boîte valaient à peine une minute de silence lorsque cela s'interrompt.
Ce long texte indigeste pour dire qu'il devient assez évident que je toucherai une retraite de moineau et que le mot carrière est désormais à bannir de mon vocabulaire. Mais je ne saurais assez me féliciter, jour après jour, d'avoir décidé de quitter mon job. Ne serait-ce que pour ce délicieux sentiment de liberté qui m'étreint, lorsqu'après un déjeuner comme celui-ci, je prends un bus sans me demander si ma pause n'a pas été trop longue et si je ne devrai pas rendre des comptes à ce sujet.
Dernièrement, je discutais avec un psy pour un papier. Il m'expliquait avoir décidé un jour de tout plaquer, carrière prometteuse et statut enviable, pour mener sa barque. Il me disait son sentiment d'être parvenu à se "planquer" du système, entretenant jalousement ce bonheur à contre-courant. J'ai beaucoup aimé cette idée, cela correspond assez bien à ce que je ressens parfois, d'être un peu clandestine.
Tous les jours, je m'interroge quant à la pérennité de cette vie nouvelle. Souvent, je râle beaucoup, notamment parce qu'il est difficile pour l'entourage proche (= le churros, que je ne veux pas stigmatiser, donc on l'appellera "l'entourage") de ne pas confondre "travail chez soi" et "mère au foyer". Ce qui conduit par exemple "l'entourage" à considérer que toute réparation d'équipement ménager peut-être programmée dans une plage horaire pouvant aller de 9h à 18h (étant évident que je passe mes journées rivées à mon canapé) ou que les maladies de Rose, imaginaires ou non peuvent être entièrement prises à ma charge.
Malgré ces quelques ajustements nécessaires et les légers heurts que cela provoque (= on se déchire régulièrement la tronche), tous les jours je me pince lorsque je constate que financièrement finalement, je ne m'en sors pas si mal. Et tous les jours j'ai peur que ça s'arrête.
Ah et sinon rien à voir mais il se pourrait finalement que Rose ait bel et bien contracté une gastro. Enfin, elle je ne sais pas, mais moi oui. CQFD. J'ai déjà dit que c'était l'aînée, ma préférée ?