Mon amie C (ma dealeuse) m'avait prévenue: "attention, grosse claque".
Je peux vous dire qu'elle n'avait pas vraiment exagéré.
De quoi me parlait-elle ? De ce livre, Room. Un ovni, dont le procédé narratoire m'a fait penser à "La vie devant soi" de Romain Gary. L'histoire est en effet contée par un petit garçon de cinq ans, ce qui peut vite s'avérer casse-gueule, rien de plus irritant qu'un adulte tentant de prendre la voix d'un enfant en en singeant la pseudo candeur.
Sauf que là, ça marche au delà de l'entendement, au point qu'on finit vraiment par se demander si ce n'est pas Jack qui a réellement écrit le livre.
Quant au pitch, il tient en quelques mots. Jack vit avec sa maman adorée, dans une fusion totale qui semble dans les premières pages confiner au malsain. Leur univers se borne aux murs de la cabane dans laquelle ils vivent et leur solitude est telle que Jack personnifie la Télé mais aussi monsieur Tapis ou encore madame Plante.
Très vite - et je ne pense pas vous gâcher la lecture du bouquin en vous le révélant, c'est écrit en 4ème de couv - on réalise l'horreur: la vie de Jack et de sa maman se borne vraiment aux murs de la cabane qui n'est en réalité qu'une chambre. Prisonniers d'un malade qui a kidnappé la jeune femme il y a sept ans de cela, ils n'ont pour seule ouverture sur le monde extérieur la lucarne de la cahute. Parce que Jack est né là et que sa mère a préféré lui faire penser que cette vie là était normale, elle lui a fait croire que le "Dehors" n'existait que dans la télé et que la vie c'était ça, cet ilot minuscule, rythmé par les visites nocturnes terrifiantes de Grand méchant Nick et le "cadeau du dimanche" qu'il consent à leur offrir, consistant en général en un bien de première nécessité.
Ce qui est d'une force incroyable c'est la cohabitation d'une angoisse d'enfermement ressentie par le lecteur avec cet émerveillement devant cette peinture de l'amour total d'un enfant pour sa mère et inversement. Avec cette question soulevée, que se pose toute mère un jour: "est-ce que la bulle dans laquelle on voudrait parfois rester avec son petit serait viable à terme ? Pour vivre heureux, vivons cachés ?".
Je ne vous en dis pas plus, si ce n'est que l'histoire raconte surtout comment justement Jack va parvenir à affronter le "Dehors", sa mère réalisant qu'il est désormais grand, à cinq ans, et qu'il faut le faire sortir, au péril de sa vie à elle et peut-être de la sienne.
Je ne saurais que trop vous conseiller ce livre, une fois de plus. Il n'est pas gai et en même temps on rit beaucoup parce que la façon dont cet enfant bulle regarde notre monde est souvent cocasse et confondante de pertinence. On pleure aussi parce que c'est avant tout une histoire de la captivité et de ses dégâts. Captivité de la mère, de l'enfant, peut-être la nôtre aussi. C'est enfin, en tous cas je l'ai lu comme ça également, une allégorie de la matrice dont il est parfois si difficile de s'extraire ou de faire sortir son petit. Bref, précipitez-vous, c'est écrit comme un polar, c'est un ovni et c'est, pour paraphraser C., une grosse claque.