Le scénario est à peu de choses près toujours le même.
Rose, mais ce pourrait être le machin ou la chérie - même si depuis quelques années ils semblent avoir enfin fabriqué quelques défenses immunitaires - commence à moucher et toussoter. A grand renfort de pshiit dans le nez, on tente d'endiguer, sans se faire aucune illusion. Mais comme de fièvre il n'y a pas, on attend, en redoutant LA nuit. Celle qui finit inexorablement par arriver et pendant laquelle les quintes de toux vont se succéder, tant et si bien qu'à la fin l'enfant dégobille l'intégralité du repas de la veille mais aussi de l'avant veille, voire de la semaine précédente (on sous estime la contenance d'un estomac d'enfant).
Le lendemain, armés d'un optimisme qui n'a rien à envier à celui de Christine Lagarde ("la crise est finie et la croissance française en 2012 atteindra à l'aise les 3%") ("et au pire, faites du vélo, crétins"), on colle la poitrinaire en classe en priant pour ne pas être appelés à 15h40 par un directeur paniqué: "le thermomètre frontal a fondu".
Comme tout le monde le sait, les prières ne servent en général à rien, en tous cas pas à faire un sort aux virus infantiles.
Coup de fil du directeur il y a donc. Quand ce n'est pas la nounou du mercredi.
Là on calcule et on se dit que mine de rien, ça fait une semaine que ça dure. Direction ce bon vieux généraliste que rien n'impressionne. Ce dernier qui nous connait comme le loup blanc et ne nous prend néanmoins pas vraiment au sérieux nous case entre deux gastros (il sait que tant qu'il ne nous aura pas reçus il n'aura pas la paix) et après auscultation d'une enfant temporairement en pleine forme (on sous-estime aussi l'effet placebo de la salle d'attente), nous annonce l'air las que les poumons sont impeccables, les amygdales sont un peu rouges, les oreilles nickel mais le nez plein comme le périph parisien aux heures de pointes. Une rhino, en somme.
Ce râle qu'on entend à chaque inspiration ? "Les secrétions nasales qui coulent dans l'arrière gorge", répond du tac au tac monsieur médecines douces (il a récemment lu une étude prouvant que le miel est plus efficace que le toplexil et refuse désormais de me prescrire ledit Toplexil pourtant seul garant de mon sommeil durant les périodes de rhinos) (je le déteste) (mes enfants n'aiment pas le miel).
Bref. Verdict: doliprane et...
"LAVEZ LUI LE NEZ" (bordel) (il ne le dit pas mais il le pense).
Moi, dans ma tête, je lui réponds que sa race, je ne fais que ça de lui pulvériser de l'eau de mer dans le pif et ce depuis une semaine. Et qu'à peine franchie la porte, la fièvre va re-démarrer, les quintes redoubler et les vomitos se multiplier. En vrai je ne dis rien parce qu'en plus à mon corps défendant, n'importe quel médecin déclenche en moi une légère excitation (sauf mon frère, je précise quand même).
Je ressors du cabinet en me flagelleant mentalement de ne pas avoir attendu qu'elle soit au pic de sa crève et qu'on en finisse grâce au dieu clamoxyl qui n'est pas automatique puisque c'est un antibiotique mais qui j'en suis certaine représente ma seule porte de sortie (et accessoirement mon unique espoir de rendre mon papier à temps).
Deux jours passent, pendant lesquels bien évidemment, le fait d'être free-lance me désigne sans même un semblant de concertation comme garde malade attitrée. Vingt-cinq histoires de tchoupi et douze heures non-stop de diffusion de la petite sirène 2 (qu'on fusille le connard qui eut cette idée folle d'inventer une suite au premier déjà suffisament tarte), l'enfant tousse un peu moins et on se félicite, le churros et moi (enfin surtout le churros parce que moi à ce stade là je ne me félicite plus de rien, je cherche juste un moyen d'exécuter tchoupi et son insupportable doudou) de ne pas avoir cédé à la tentation de la péniciline.
Le week-end se passe, pshiit dans le nez, prise de température, on pense avoir endigué le virus. Jusqu'au dimanche 15h environ. Heure à laquelle Rose émerge de sa sieste, écarlate, en eau et quelques restes du repas dominical dans les cheveux.
C'est à ce moment là qu'intervient Zorro. Egalement appelé monsieur SOS médecin. Appelé après une prise de tête de quelques minutes sur le mode "tu es sûre quand même, elle n'est pas si mal, non ? Oui, bon, ok, elle vient de cracher un morceau de poumon, on appelle".
Zorro, donc, qui déboule trois heures cinquante après l'appel, (à moins d'avoir eu recours à une technique de routard, malhonnête mais redoutablement efficace, consistant à distiller quelques informations inquiétantes dans les symptômes ("elle a la nuque un peu raide et quand j'ai allumé la lumière, elle a hurlé") pour trouver une enfant qui... pète la forme. Ou pire, qui dort comme un loir étant donné qu'il est trois heures du matin. Ce qui nous vaut d'être regardés comme si nous étions frappés du syndrôme de Münschhausen.
Neuf fois sur dix, le diagnostic est sans appel: c'est viral. "Oui mais quand même, cinq jours de fièvre, et puis quand elle tousse c'est tout de même impressionnant".
"Là elle tousse pas madame".
En effet, elle tousse pas. La hyène.
En général, parce que l'élément lambda d'SOS Médecins préfère se couvrir, tu finis par obtenir le graal, l'ordonnance d'antibiotiques à n'utiliser que si demain soir elle a toujours de la fièvre. "Mais là madame, il me semble que ça n'est pas nécessaire".
Par contre, il est formel, pas d'école pendant trois jours. Genre ta gosse elle n'a rien, tu n'es qu'une cintrée qui appelle le samu comme d'autres SOS amitié mais par contre tu seras gentille de garder ta gamine à la maison durant trois semaines, au cas où.
Bye bye, ce nouvel employeur qui attendait justement un article test pour lundi soir.
Le lendemain, de guerre lasse et parce que la fièvre n'a pas à proprement parler diminué, on finit par la mettre sous antibios. Deux heures plus tard, l'enfant semble régénérée, prête pour le marathon de Paris. Ce qui, tu le sais, n'a absolument rien à voir avec une prise, seulement, du médicament. Et qui te plonge dans les affres de la culpabilité: "elle n'en avait pas besoin". Suivi d'une séance de grosse grosse grosse prise de tête: mais maintenant qu'on a commencé, est-ce qu'on continue ? Est-ce qu'arrêter après une seule dose va permettre à toutes les bactéries de la ville de Paris de s'installer à vie dans son organisme ? Et si elle avait la tuberculose ? Et si à force il lui poussait un bras sur le front ? Et si je divisais les quantités par deux ? Et si je lui donnais un placebo et qu'à la fin je sortais une étude qui ferait date dans l'histoire de la pédiatrie ?
Pour finir, on coupe la poire en deux, continuant péniblement le traitement (péniblement parce qu'il n'y a pas plus infect que le générique du clamoxil à la banane de synthèse) pour l'interrompre lâchement trois jours après.
Mais comme elle va bien, on finit par oublier de s'en faire.
Jusqu'à la prochaine fois.
Prochaine fois où tout se déroulera exactement à l'identique, où les mêmes hésitations nous feront gamberger et où nous ferons connaissance avec une nouvelle recrue d'SOS médecins, fasciné de constater que oui, la famille de dinguos du 13ème existe vraiment, non, ça n'est pas une légende urbaine.
Etre parent, c'est finalement prendre éternellement les mauvaises décisions en étant convaincus d'avoir fait pour le mieux.
Edit: parfois, on tient le coup et on attend vraiment que l'enfant soit en fusion pour convoquer le docteur. A ce moment là, il y a la version deux de l'histoire. Celle où on se fait jauger de la tête aux pieds par un blanc-bec qui se demande quel parent assez inconscient peut avoir attendu aussi longtemps pour consulter, étant donné que l'enfant qu'on lui brandit est à deux doigts de l'intubation. Mais j'avoue, c'est rare. Le plus souvent, on rejoue Pierre et le Loup, inlassablement...
Edit2: Inutile de me conseiller l'homéopathie, déjà essayée, pas concluante et surtout complètement incompatible avec notre désorganisation pathologique...
Edit3: La photo ? Rien à voir, juste quand même, j'ai réussi à aller chez le coiffeur vendredi entre deux vomis de bronchioles. J'en reparle très vite, c'était un peu une délocalisation du salon de "Le Web", pas moins de trois affluentrices de l'internénette sous le casque.
Edit4: (si je veux je peux en faire dix des Edit) ça ne nous rajeunit pas mais preuve que le sujet est ancien, j'avais écrit il y a longtemps ce billet qui raconte à quelque chose près la même chose, avec une chute un peu à mes dépens. (je me demande si je n'arrive pas au bout d'un cycle en fait) (je n'ai plus rien à raconter si ça se trouve).