Hier une radio m'a proposé d'intervenir au sujet des "spécial rondes" des magazines. Qu'est-ce que j'en pensais, est-ce que c'était selon moi un vrai mouvement de fond ou un moyen pour les féminins de se donner bonne conscience avant l'inévitable "spécial maigrir" des prochaines semaines, etc. Au départ, j'ai répondu que pourquoi pas. Et puis j'ai renvoyé un mail pour prévenir que je n'étais pas la porte parole des rondes, que je ne l'avais jamais été et peut-être un peu moins aujourd'hui, n'étant plus à proprement parler gironde, bien que pas vraiment maigre non plus.
Bref, si c'était mon avis de fille qui en a un sur à peu près tout (d'avis), d'observatrice voire de journaliste, j'étais partante. S'ils voulaient l'opinion d'une figure emblématique de la cause, je n'étais pas la bonne personne et ne l'avais d'ailleurs jamais vraiment été, dieu merci mon poids ne me définit pas.
Ils ont préféré faire appel à quelqu'un d'autre.
Je n'étais pas particulièrement déçue, l'idée même de me retrouver dans un studio devant un micro avait suffi à me faire crépiter le palpitant. Mais il n'empêche qu'entre le premier mail et le dernier, j'avais eu le temps de réfléchir un peu à la question. Alors après tout, me suis-je dit, pourquoi ne pas en faire un billet...
D'autant qu'à mes débuts sur ces pages, je me souviens avoir vitupéré contre les fameux "spécial rondes", illustrés par Laetitia Casta ou Monica Belluci, qui n'ont de gros que les seins et éventuellement la bouche.
J'ai essayé, honnêtement, de me demander ce qui avait changé depuis dans la représentation de la rondeur. En mettant de côté ma condescendance pour certains supports de pub de presse qui ne sont que des prétextes à attirer toujours plus d'annonceurs.
Et le fait est qu'une chose a changé: il y a cinq ans, donc, les femmes censées incarner les grosses étaient invariablement des actrices ou mannequins aux courbes un peu plus voluptueuses que leurs consoeurs. Des filles à côté desquelles la moinde nana n'entrant pas dans du 38 se sentirait malgré tout obèse (et moche). Aujourd'hui, le fait est que c'est Tara Lynn qui illustre le spécial rondes du Elle, que Stéphanie Zwicky, de Big Beauty, est régulièrement sollicitée par ces journaux et que des chaines de fringues type Castaluna proposent une alternative au combo legging/tunique jusque là réservé aux 44 et plus.
Cela signifie-t-il pour autant que a société a changé son regard sur les rond(e)s ? Je n'en suis pas certaine. J'aurais envie de dire, à l'instar d'Audrey Pulvar ou Sonia Rolland dans leur coup de gueule contre l'article lamentable du Elle sur les noires fashions, que l'acceptation viendra quand une femme noire fera la une des féminins en dehors d'un spécial "beautés blacks". Transposez cela pour les rondes et vous aurez mon avis sur la question. Le jour où Tara Lynn fera la couv sans qu'il soit spécifié en légende qu'en dépit de ses kilos elle est formidable, alors on pourra éventuellement parler d'un vrai progrès.
Surtout, que l'industrie de la mode ait compris, enfin, qu'il y avait un vrai marché de la rondeur est peut-être une bonne nouvelle pour l'économie du textile et par extension pour toutes celles qui ne trouvaient pas leur bonheur jusque là. Mais il ne faut pas confondre opportunisme commercial et acceptation sociale.
La minceur et la jeunesse sont les deux valeurs les plus prisées aujourd'hui, peut-être parce que ce qui est rare est cher. Des études montrent que les obèses souffrent de discrimination au travail. Selon une enquête datant de 2011, les gros sont par exemple en moyenne moins bien payés que leurs collègues light. A force de surmédicaliser le surpoids - alors que tous les gros ne meurent pas forcément noyés dans leur cholestérol - on en fait une telle psychose que les gens mangent pour calmer l'angoisse de grossir. A force de survaloriser la beauté comme préalable indispensable au bonheur et à la réussite, on fait penser aux enfants, petites filles mais aussi petits garçons, que leur bonne apparence vaut mieux que de longues études ou de beaux discours. Le curseur, je trouve, ne cesse de se déplacer, l'intelligence étant moins vantée que des yeux en amande ou une silhouette gracile. Je ne compte plus autour de moi les parents ayant envisagé - voire l'ayant fait - d'inscrire leurs gamins dans des agences de mannequins.
Je suis moi même effarée de la façon dont j'appréhende l'adolescence de ma fille, pour tout ce qu'elle signifie quant à mon propre vieillissement, mais aussi, si je suis honnête, parce que je n'ai qu'une crainte, que ma si jolie poupée attrape des boutons, des poils et des kilos. Ce qui ne devrait pas manquer d'arriver et qui ne devrait pas tant que ça m'effrayer. D'autant qu'elle a bien d'autres atouts que son joli minois et que c'est évidemment le plus important.
Mais c'est comme ça, avoir de beaux enfants c'est quelque chose qui probablement rejaillit sur soi même et vient panser ses propres blessures narcissiques. Et ce ne sont pas quelques couvertures de féminins nous jetant en pature la dernière sensation ronde (qui ne manquera pas de maigrir à la première opportunité, cf Crystal Renn) qui changera quoi que ce soit à l'affaire.
Conclusion, ne nous voilons pas la face, la minceur a de beaux jours devant elle et s'il serait faux de prétendre que rien n'a changé, il serait bien naïf de sauter au plafond parce qu'une fois l'an on nous montre une fille aux hanches rebondies en une d'un hebdo réputé pour encenser depuis toujours la beauté formatée.
Voilà, c'est tout.