Il aura fallu à peine trois séances pour que l'alchimie se fasse. Si les deux premiers jours nous n'étions encore qu'une addition d'individus, j'ai senti hier qu'un groupe avait pris corps, sorte de 13ème personnage silencieux mais essentiel à la maturation de nos écrits.
Drôle d'expérience en effet que de ne pas être seuls face à la page blanche. S'il est une activité solitaire, c'est bien celle consistant à coucher des mots sur le papier. C'est ce qui en fait toute la beauté mais également la difficulté. Or là, exceptionnellement, bien qu'ayant chacun notre histoire à inventer, nous sommes ensemble, les uns contre les autres, même, exiguité de notre bulle oblige.
Je n'arrive pas à savoir si nous devons cette belle entente au hasard, à l'enthousiasme de Bruno Tessarech ou à ce qui finalement nous lie par delà nos différences évidentes: cette aspiration que nous n'avons, pour une fois, pas à garder secrète : voir, un jour, peut-être notre livre sur un présentoir.
Je n'ai et n'aurai sûrement jamais la réponse, mais les faits sont là. Sans prétendre à l'amitié, il règne entre les douze protagonistes une ambiance sereine et cordiale qui fait de notre maison bleue celle du bonheur. J'en veux pour exemple cette anecdote. Etant complètement stressée à la perspective de dire mes mots à voix haute, j'ai commencé au pas de charge, la gorge nouée. Bruno m'a invitée à ralentir, mais impossible de me détendre. Charles a alors accepté de prendre le relais, s'appropriant mon texte avec l'exact ton que j'aurais voulu être capable d'y mettre et surtout autant d'enthousiasme que si ce passage avait été de son oeuvre. Une générosité d'autant plus remarquable que la minute d'avant j'avais projeté sur ses chaussures (et une bonne partie de son pantalon) mon thé encore brûlant. Juste avant de flanquer mon ordinateur par terre. Puis mon téléphone. De quoi captiver mon auditoire, en somme. Comment se saborder en trois leçons, je pourrais probablement animer un atelier.
Cette entente est d'autant plus précieuse que la fin est inéluctable et que dès ce soir, nous repartirons chacun chez nous, avec notre embryon de roman dont il est pour l'instant impossible de savoir s'il passera le printemps.
Peut-être qu'au gré des affinités, certains garderont le contact, quand d'autres disparaitront des radars. Peu importe à vrai dire, il restera cette attention bienveillante à chaque lecture d'un texte, l'absence totale de jugement ou de remarque se voulant "constructive" mais ruinant le peu de confiance que pas mal d'entre nous avons à l'intérieur de nous. Il restera les sourires, les secondes de silence suspendu après un écrit particulièrement intense que l'un ou l'une aura lu.
Il restera cette incantation de Bruno que je n'oublierai pas: "les éditeurs ont ce pouvoir sur vous de vous publier ou non. Ne leur accordez jamais en revanche celui de décider de la qualité de ce que vous faites. Ils ne doivent pas être la cause d'un abandon de l'écriture".
Bien sûr, certains objecteront que l'on écrit toujours pour être lu. Mais aujourd'hui plus qu'hier, il y a tant de façons justement de diffuser sa prose, que l'édition n'est finalement qu'un moyen parmi tant d'autres. Et refuser de baisser les bras même en cas de lettres de refus qui se succèdent, c'est peut-être ça, aussi, être écrivain.
A part ça, Germain, Antoine, Tonton René, Jacques, Raymond, Sarah, Paul, Gisèle, Léon, Charles, Mathilde et Pierre André Bidule vont très bien, merci. Et ce en dépit de certaines aventures rocambolesques, voire terrifiantes. Après un portrait puis une première scène, nous en avons, hier, rédigé une autre encore, histoire de leur donner un peu plus d'épaisseur. L'occasion de voir des personnalités émerger, des caractères se tremper ou des décors se planter de plus en plus solidement. Aujourd'hui c'est donc le dernier jour et notre mission consistera à inventer une rencontre entre notre personnage et l'un des onze autres. Un défi de taille lorsqu'on voit la diversité des univers de chacun.
Suite et fin demain...
Edit: Pour rappel, je suis donc pendant quatre jours un atelier d'écriture organisé par la Fondation Bouygues télécom "Nouveaux talents". Dans le cadre d'un partenariat avec la fondation, j'ai pour mission, outre de m'imprégner religieusement des conseils avisés de Bruno Tessarech, de relater ici cette expérience.
Edit2: Je tiens vraiment à vous remercier des commentaires postés ce week-end. C'est pour moi un vrai plaisir d'écrire ces chroniques d'ateliers mais je n'étais pas certaine qu'elles vous intéresseraient. Au vu de vos petits mots, c'est plutôt le cas et cela me touche, vraiment.