Nos yeux piquaient hier quand la porte de notre maison bleue s'est refermée. Il faut dire que tant de confidences avaient été faites l'air de rien durant ces quatre jours... Parce que ne nous leurrons pas, je est un autre comme le disait si bien le bel Arthur. Et derrière Gisèle, Paul, Charles ou Mathilde, pour ne citer qu'eux, se cachaient évidemment certains d'entre nous.
Ce fut d'ailleurs l'un des ultimes conseils prodigués par Bruno Tessarech: "un des secrets du roman c'est de parler de nous comme si on était un autre et des autres comme s'ils étaient nous".
La dernière séance eut donc des airs de fin de colonie de vacances, avec échange de mails, embrassades et promesses de ne pas en rester là. Nous avons malgré tout travaillé, avec un peu de fébrilité, conscients que les textes que nous allions écrire seraient les derniers de cet atelier. L'occasion de faire se rencontrer, donc, nos personnages et ceux de nos camarades de labeur. A l'arrivée, des pépites, mariant des univers aussi différents qu'une ambassade au Japon et un troquet breton, un détective privé obèse et une jeune fille agoraphobe, un thésard en biologie avec un prof de droit ou encore un baroudeur revenu de Russie avec un vice-consul en fin de course.
Je ne dévoilerai pas les secrets de ces histoires, vous pourrez bientôt les retrouver sur le site des Nouveaux talents. Ce ne sont finalement que quelques bribes de romans à venir, mais ce qui est dingue, c'est que j'ai la ferme impression que ces livres existent déjà. Comme si notre imagination avait été tellement fertilisée que nous étions capables de remplir les blancs comme bon nous semble.
En parlant de blanc, je ne vous ai pas raconté la théorie des marges de Bruno. Une anecdote qui ne vous fera plus jamais lire de la même manière. Figurez-vous en effet que dans une page de livre, la place consacrée au texte est égale à la surface des marges. Pourquoi ? Parce qu'un texte a besoin d'espace. Et aussi parce que finalement, lire c'est à la fois s'imprégner des mots et des phrases mais aussi y ajouter sa propre interprétation. En somme, les marges sont là pour laisser la place à notre imaginaire. C'est beau, non ?
Voilà, juste avant de partir, alors que nous lui demandions comment faire pour évaluer la qualité de notre travail lorsqu'on n'a encore jamais confronté nos écrits à la lecture d'une tierce personne, Bruno nous a invités à prendre du recul, "oublier" nos manuscrits quelque temps, puis les relire d'un oeil nouveau. Il a ajouté que la qualité, finalement, n'était jamais que le reflet du plaisir que nous avions pris à écrire. Qu'une réponse positive d'un éditeur était un plus, certes, mais ne devait jamais être la seule validation de notre droit à écrire (je l'avais déjà dit hier, mais cela m'a semblé fondamental).
Nous nous sommes donc séparés après une dernière photo de famille, riches de ces quatre jours qui j'en suis sûre auront permis à chacun d'entre nous d'avancer un peu. L'une aura compris que rien ne vaut la fiction pour parvenir à relater une expérience personnelle, l'autre aura fait revivre un être disparu, un autre encore tiendra le sujet du roman qu'il rêvait d'écrire. Certains auront simplement vu se confirmer cette certitude: écrire est un désir inextinguible que rien ni personne ne peut éteindre.
Je ne sais pas si la fondation Bouygues Telecom renouvelera cette opération, ni sous quelle forme, le cas échéant. J'avoue avoir avec assez peu de subtilité suggéré l'ouverture d'une résidence d'écriture (de préférence en bord de mer) (je sens que mon inspiration y serait au top), voire la délocalisation du prochain atelier au salon du Livre de San Fransisco (il doit bien en avoir un). Je ne sais pas pourquoi, j'ai senti que je poussais peut-être le bouchon un peu loin.
Plus sérieusement, comme aux Cesars, je ne peux pas terminer cette saga sans remercier à nouveau Céline et Dorothée grâce auxquelles tout s'est déroulé comme dans un rêve. Mon dernier mot sera pour Bruno, dont je suis impatiente de lire le prochain livre. Il nous a confié repartir lui aussi regonflé à bloc, avec dans sa sacoche de nouvelles idées, des promesses de romans. Signe s'il en est que l'energie a bien circulé dans notre bulle enchantée...