Je me faisais la réflexion hier que j'avais mine de rien parcouru un long chemin depuis l'année dernière à la même époque. A savoir que je suis presque sereine. Je veux dire, bien sûr, de temps en temps, je suis prise d'un vertige en pensant que je n'ai pas de filet et que mon avenir pécuniaire dépend uniquement des commandes que je reçois. Mais autant c'était plusieurs fois par jour qu'il y a un an je manquais défaillir à cette idée, autant aujourd'hui c'est plus une une vigilance que je m'astreins à conserver, un garde fou qui m'empêche d'être complètement détendue du string (ce qui dans mon cas est salutaire, parce que paradoxalement je peux passer assez aisément de flippée sa race à complètement rien à foutre).
Cette sérénité presque trouvée me fait d'autant plus apprécier ce statut si particulier de free lance. Etonnament, ce sont je crois les relations entretenues avec les personnes pour lesquelles je travaille qui me plaisent le plus. Elles sont rares, entendons nous bien. La pigiste n'est la plupart du temps qu'une variable d'ajustement, une roue de secours que l'on appelle au dernier moment, une respiration, parfois, qui peut éventuellement insuffler un peu d'air frais dans une rédaction exsangue. Mais en aucun cas la pigiste ne peut aspirer à être au centre ni même sur le pas de la porte. Et pourtant, il s'est créé au fil des mois des façons de travailler avec chacun des responsables des publications auxquelles je collabore un lien de confiance et presque, oserais-je le dire, d'égal à égal (formule que je pourrais mettre au féminin, 99 % de mes rédacteurs en chef sont des rédactrices en chef, girl power inside). A savoir que si le revers de la médaille du statut de free-lance réside très nettement dans sa faible implication dans la rédaction au quotidien, le bon côté en revanche c'est que vous êtes totalement absent des conflits internes et d'une certaine manière exempté des relations hiérarchiques. Bien sûr, tout le monde sait qui commande (au propre comme au figuré) et qui dispose (ou propose). Mais le fait est que la subordination n'est pas la même, ne serait-ce que parce qu'un pigiste peut décider à tout moment d'arrêter. Bien évidemment ça ne se fait pas souvent et pas à la légère (claquer la porte c'est aussi faire une croix sur une source de boulot et donc d'oseille dans un contexte où ne rêvons pas les piges ne se ramassent pas à la pelle), mais c'est un levier non négligeable je crois dans les relations qui s'installent dans la durée.
Je ne dirais pas qu'on me ménage plus que si j'étais intégrée, mais j'ai en tous cas la sensation d'être considérée. Avec respect et infiniment moins de violence finalement que dans mon ancien boulot où je possédais pourtant un titre ronflant censé me donner pouvoir, prospérité, sensualité (ça c'est moins sûr). Quand je parle de violence, il s'agit plus de celle consistant à finir par ignorer le travail fourni par un tel ou une telle, à le prendre pour acquis, que d'une vraie brutalité dont je n'ai jamais été victime.
Bref, je ne sais même plus pourquoi je suis partie dans ce long monologue, peut-être parce qu'hier avec un ami on parlait de la souffrance au travail, du nombre croissant de gens, tout corps de métier confondu, ayant cette impression qu'ils ne vont plus pouvoir s'épanouir dans leur vie professionnelle. Cette perte d'espoir et de plaisir dans le fait même d'exercer sa profession. Cette frustration que l'on éprouve souvent à voir son coeur de métier ne plus être au centre, parce que ce qu'on vous demande c'est de tenir un rôle, d'animer une réunion, de savoir faire valoir votre boulot plus que de savoir vraiment le faire.
Je crois réellement qu'au delà de tous ces grands problèmes très compliqués relevant de l'économie, de la dette et tout et tout et auquel je pige à peu près que pouic, l'un de nos énormes soucis réside dans cette perte totale d'illusions et de confiance dans ce qui pourtant est synonyme d'émancipation: le travail. (bon, bien sûr, on peut aussi décider une bonne fois pour toute que c'est de l'aliénation et qu'on retourne dans nos grottes, mais comme je vous l'ai avoué hier, je kiffe les moquettes épaisses).
Je ne prétends pas avoir trouvé LA solution mais peut-être la mienne. Je ne ferme aucune porte à une réintégration un jour dans une rédaction, mais à mon grand étonnement, alors que je ne donnais pas cher de ma peau il y a un an, je ne suis pas à la recherche de quoi que ce soit. Je prends les bons côtés de cette vie (ne plus me lever à 6h45 mais à 8h est incontestablement le meilleur) et je tente d'en accepter les moins glorieux (j'envisage d'embaucher un gorille que je chargerai d'aller réclamer l'argent qu'on me doit ça et là) (mine de rien c'est l'une des énormes plaies du business, d'autant plus lorsqu'on est comme moi l'archétype de la personne osant à peine réclamer son dû sans s'en excuser dix fois).
Voilà, c'est tout pour aujourd'hui et comme ça n'était pas forcément très glamour, je vous illustre tout ça avec des shoes étoilées ou estampillées british. Je crois qu'il va falloir que je finisse par m'offrir des pompes à drapeau, ça semble m'obséder. Celles-ci ne sont pas des Free lance (en référence à ce clin d'oeil si subtil dans le titre) (cherchez pas ce sont des histoires de référencement) mais des Annabel Winship dont j'aime bien les créations aussi.
Bonne journée.