Ma dernière réalisation manuelle avec les enfants remonte à 2004 environ, c'était une tentative de fabrication de figurines en pate à sel. A l'arrivée: une cinquantaine de boudins censés représenter des animaux et ressemblant au mieux à des baguettes de pain. Ce n'est pas que je n'aime pas ça - un peu quand même à vrai dire - c'est juste que je suis inapte. Souvent, je dis à ma grande qu'on va aller à la Droguerie acheter des perles pour faire des bijoux mais jusqu'à nouvel ordre, c'est toujours resté au niveau de l'intention (qui compte). Je rêverais d'être cette maman et même cette femme avec de l'or dans les doigts dont on dirait qu'elle met de la beauté là où elle passe. Mais hélas, là où je passe, au mieux je fais donc des baguettes de pain qui peuvent aussi passer pour des étrons mal moulés.
Bref, ça c'était avant. Avant que je ne reçoive pendant les vacances un joli colis tout bleu estampillé "Chic Maker". A l'intérieur: tout le matériel pour fabriquer un bracelet pile poil dans la tendance Aurelie Bidermann (la femme qui tressait des brins de laine autour de gourmettes dorées et te vendait ça au prix du diamant) (la Isabel Marant du bijou, en somme).
J'avoue, le concept des box commence un peu - comme tout le monde - à me fatiguer (l'idée de l'abonnement me rappelle toujours la saga du Grand livre du Mois vécue comme un drame familial il y a des années, ma mère ayant du envoyer une cinquantaine de recommandés avant qu'enfin on accepte de mettre un terme à son engagement). Et là, autant vous prévenir de suite, Chic Maker est basé sur la même idée, consistant donc à s'abonner pour une somme conséquente, 25 euros par mois, afin de recevoir des kits tout prêts de bijoux à fabriquer.
Je ne sais pas si je m'abonnerais, d'autant plus compte-tenu de mon syndrôme de la pâte à sel, mais je dois avouer avoir été bluffée par le résultat. Pourtant ça n'était pas gagné.
Je vous raconte ?
10h34: La chérie, intriguée par le colis me supplie de l'ouvrir séance tenante.
10h35: La simple vue des pinces à couper le métal me colle des palpitations. A ma fille aussi mais elle, c'est de joie. "On va le faire toutes les deux maman, ça va être trop génial ! Et après on range toute la maison ensemble, dis oui, dis oui !".
10h37: Une fois encore l'idée d'un échange de bébés à la maternité m'effleure.
10h42: Les petites étoiles qui brillent dans les yeux de ma fille me décident à franchir le pas. A minima on aura passé un de ces instants fondateurs dans la vie d'une mère et son enfant. Complicité, je crie ton nom.
10h53: Une fois tout le matos déballé, on lit scrupuleusement le mode d'emploi. "C'est très important tu comprends, dans ce genre d'activité, de suivre les consignes A LA LETTRE. Sinon le bracelet va ressembler à une baguette de pain", j'explique à ma fille qui me regarde.
10h54: Rose veut faire le bracelet avec nous. Je dis mentalement au revoir à tout ce qui pourrait ressembler à un instant fondateur. A trois, on va s'écharper.
10h58: Après d'apres négociations, on parvient à convaincre Rose de jouer aux barbies juste à côté mais de ne pas intervenir. Elle finit étrangement par céder. Le dialogue, on ne répétera jamais assez l'importance du DIALOGUE. (je crois que je vais écrire un livre sur ma méthode éducative)
11h02: La langue tirée et le ventre contracté (j'ai décidé finalement d'intégrer mes séances d'abdos à la vie quotidienne et profite donc de la moindre occasion pour les faire travailler), on commence par nouer les quatre brins de soie comme sur la photo.
11h04: Les quatre brins de soie sont noués mais pas vraiment comme sur la photo.
11h05: Ma fille trouve qu'on devrait tout reprendre du début pour que ce soit comme sur la photo.
11h07: Je pense complicité, je pense dialogue, je pense instant fondateur.
11h08: On défait et on refait, ce n'est toujours pas exactement comme sur la photo mais je décide que c'est comme ça et que c'est très bien (le dialogue a aussi ses limites, comme tout en somme).
11h10: "A présent, introduire les brins rose et corail par dessous dans le premier anneau et rabattre sur la gauche".
11h12: Pourquoi cette phrase m'évoque au mieux un rébus au pire une citation de Sénèque mal traduite ? Je vois la baguette/étron arriver au rythme d'un cheval au galop.
11h13: Ma fille prend les choses en main et semble avoir compris, elle. Elle enchaine avec les brins verts et bleus qu'il faut placer "par dessus les brins roses et fushia" et glisser à leur tour dans l'anneau par dessous.
11h15: J'insiste pour me charger du glissage dans l'anneau des brins verts et bleus. J'ai quand même fait Sciences Po, hein.
11h16: ÇA N'EST PAS COMME SUR LA PHOTO.
11h18: Ma fille me signale que sur la photo ça ressemble à une tresse. Et que là ça ressemble... "A UNE BAGUETTE DE PAIN, OUI JE SAIS !".
11h19: Ma fille m'assure que ça ne ressemble pas à un étron de chien ni à une baguette de pain mais que par contre à un gros noeud tout vilain, oui. Elle me propose de tout défaire et de tout recommencer.
11h20: Elle a peut-être été échangée à la maternité mais je lui ai transmis ma patience et ma diplomatie et ça c'est énorme. On s'en fout des liens du sang. Je ne crois qu'à l'acquis.
11h21: En essayant de défaire mon bordel, ma fille semble empirer le truc. "BORDEL MAIS TU EMPIRES LE TRUC LÀ, LAISSE MOI FAIRE", je crie, en lui arrachant le bracelet.
11h23: Pour un instant fondateur, ça il est fondateur, désormais ma fille aura peur de moi à vie.
11h24: Je m'excuse auprès de ma fille pour le ton qui est monté un peu vite, j'admets (toujours admettre ses torts, penser à en parler dans mon essai sur l'éducation par le dialogue). "Mais EN MEME TEMPS TU EMPIRAIS LE TRUC", je rajoute sans pouvoir m'en empêcher.
11h26: Ma fille décrête qu'elle n'a plus très envie de participer. L'incapacité des enfants à persévérer, on n'en parle pas assez. Alors que je me décarcasse pour qu'on passe un instant fondateur de complicité. C'est moche moche moche. La mère naturelle de cet enfant devait être d'un égoisme.
11h28: Je m'éclate comme une petite folle depuis que j'ai choppé le truc. Je ne veux pas dire mais ça ressemble presque à la photo. Ok, pas tout à fait. Voire pas du tout.
11h30: Je fais de vraies excuses à ma fille qui accepte de jeter un oeil et qui en deux secondes remets les brins à l'endroit et tresse le tout comme si elle avait fait ça toute sa vie. Si ça se trouve, sans le vouloir, mon inconscient lui a transmis mon amour des belles choses.
11h36: Je supplie ma fille de me laisser faire moi aussi.
11h38: Si on fait abstraction de ma mèche de cheveux passée elle aussi dans l'un des anneaux sans que je ne comprenne comment, je me débrouille plutôt bien.
11h40: Je m'éclate.
11h41: "Non c'est MON jouet", je crie à ma fille qui voudrait prendre le relais.
11h43: On finit par trouver un arrangement. Elle s'occupe des brins roses et corail et moi des verts et bleus (y'a pas eu moyen de faire l'inverse alors que le rose c'est quand même ma couleur préférée) (parfois c'est chiant de se comporter en adulte).
11h44: j'ai l'impression que devant moi brillent en lettres de feu les mots "complicité" et "instant fondateur". J'ai envie d'écrire une chanson.
11h45: On n'est pas loin de la fin, sauf qu'on a beau chercher, on ne retrouve pas la petite boite qui contenait le fermoir et la minuscule chainette permettant de régler la longueur du bracelet.
12h34: Après avoir passé le salon entier au peigne fin et tenté d'incriminer le churros, on finit par admettre que notre bracelet restera en l'état jusqu'à ce que j'aille à la Droguerie acheter un fermoir. "Donc jamais", glisse, résignée, ma fille à son frère.
12h35: Au moment où je m'apprête à m'élever contre ce procès d'intention injuste et infondé (comme si j'étais du style à m'asseoir sur mes promesses) (est-ce qu'on n'avait pas fini par la faire cette pâte à sel, en 2004 ? AH !), Rose arrive l'air de rien avec la boite du fermoir, qu'elle avait planqué dans la bagnole de Ken. Je me disais aussi que sa rédition avait été louche.
12h45: Après qu'on lui ai promis par écrit que la prochaine fois - dieu m'est témoin qu'il n'y en aura sûrement pas - elle participerait elle aussi à notre instant fondateur (et aussi qu'on lui ai fourgué des bonbons) (note pour plus tard, ne pas aborder la question des bonbons dans mon traité éducatif, les gens ne sont pas prêts), Rose ramène la chainette, cachée, elle, dans la culotte en latex de sa fashion polly.
13h00: Le bracelet est terminé et je me surkiffe avec. D'un coup j'ai envie d'aller chiner des robes blanches vintages aux puces pour chiller sur une plage en Grèce.
Voilà, franchement le résultat est chouette et je dis merci à Chic Maker pour ce moment passé à fabriquer le bracelet. En vrai on a donc galéré au début et après c'était plutôt très facile. Et j'avoue, j'ai super envie de recommencer.