Il y avait ces deux adolescentes sur ce quai de la gare de Lyon. Elles suivaient les parents de l'une, en se donnant la main, comme le font souvent les amies de cet âge. Je ne sais pas bien pourquoi mon regard s'est arrêté sur elles alors que je fumais ma dernière cigarette avant le départ. Peut-être cette grâce propre à cet âge si fragile, peut-être ce qui semblait les lier, ou alors était-ce le hasard.
Je les regardais, donc, sans vraiment leur prêter attention, comme on laisse sa rétine imprimer malgré soi toutes ces images, dont la plupart disparaitront l'instant suivant.
Et puis soudain, il y a eu ce baiser. Echangé clandestinement dans le dos des parents qui marchaient devant. Il n'a duré que quelques secondes mais le rougissement de l'une et le sourire si complice de l'autre ne faisaient aucun doute. Ces deux là s'aimaient. Fort.
La petite troupe s'est arrêtée devant la voiture 8. Seule l'une des deux filles partait, en réalité. Elle a embrassé les parents de son amie, puis, celle-ci mais chastement cette fois-ci.
Il n'y a que moi je crois qui ai vu alors la légère pression de leurs mains se frôlant et les yeux brillants de celle qui restait et dont je me suis inventé qu'elle était aussi celle qui aimait un peu plus que l'autre. Lorsqu'elle est repartie avec ses parents, son visage si lumineux à l'arrivée sur le quai était si triste que j'aurais voulu lui dire que ça passerait. Et puis j'ai pensé qu'en réalité, je n'en savais rien, tellement rien. Qu'à la complexité des amours adolescentes, s'en ajoutait une autre. Qu'il y a le discours et la réalité, les milieux parisiens bobos et l'isolement des bourgardes moins habituées tout simplement aux amours peu conventionnelles. Qu'au collège, l'insulte la plus courante reste l'incoutournable "sale pédé". Peut-être que si cette amie avait été un garçon, leur baiser eut été tout aussi furtif et caché, mais peut-être pas.
Elles m'ont serré le coeur ces presque amantes, ce jour là sur un quai de la gare de Lyon. Puissent-elles un jour s'embrasser à pleine bouche à en louper ce damné train...