Dans le Grazia de cette semaine, il y a un article au demeurant fort intéressant, sur le fait que les moches (= quand même surtout les grosses) ont toutes les chances de se faire discriminer à l'embauche ou mal traiter au travail. Comme disait si bien Coluche, on nait tous égaux mais certains plus que d'autres.
Ce n'est pas un scoop, vous me direz, en tous cas pas pour moi, dans mon ancien boulot franchement, parfois je me demandais si je ne bossais pas dans une annexe d'agence de mannequins au vu de certains recrutements. Mais ce qui me semble assez grave en réalité, c'est la façon dont ce bonus donné aux gens bien faits est de plus en plus admis, au point que justement ça ne choque plus grand monde. Dans le papier que je cite, ce qui m'a le plus choqué, c'est l'aisance avec laquelle deux témoins, un gars de la télé il me semble et un responsable d'agence de pub, assument leur propension à embaucher des jolies filles. Et d'expliquer, bien détendus dans leur slip, que c'est tout de même bien plus agréable de pouvoir envisager un peu de flirt - sans penser à mal hein, on n'est pas des bêtes - histoire de rendre le quotidien plus léger. Or, badiner avec un cagot, faut pas pousser le chariot. Dont acte.
Bien sûr, les mecs ne témoignent pas à visage découvert, mais leurs propos sont sans équivoque. Ils ne voient pas où est le problème. Ceux qui le voient doivent d'ailleurs être dans leur esprit des gros thons frustrés et jaloux. Parce qu'on est bien d'accord que tout le monde s'accorde sur ce constat: il est bien plus agréable de poser les yeux sur un joli cul ou un beau minois le matin plutôt que sur un nez trop busqué ou des seins qui tombent.
L'article ne tombe pas du ciel, il s'appuie sur une étude sociologique qui met vraiment en évidence cette discrimination. Peut-être la pire qui soit finalement, parce que 1) merci l'humiliation d'aller à la Halde pour expliquer qu'on est persuadée de ne pas avoir été embauchée à cause de son acné ou de ses capitons et 2) la beauté, même si en gros il est admis qu'est beau ce qui est jeune, grand et élancé, est un critère moins objectif qu'une couleur de peau ou que le genre d'un ou d'une candidate. Impossible donc de condamner quiconque se livrera à ce type de sélection.
Une discrimination sournoise, donc, et qui me met le moral à zéro. Parce que malgré moi, j'ai, je crois, intégré cette nouvelle donne. Pas tellement pour moi, puisque je ne suis désormais plus vraiment dans une optique d'intégration dans une entreprise - de l'intérêt de la pige, en général on se fout bien de votre trombine, ce qui compte c'est que le papier soit rendu en temps et en heure et si possible écrit en bon français - mais pour mes enfants.
Et si moi je l'ai intégré, j'imagine que c'est la même chose pour un tas de parents. Qui ne vont donc plus expliquer à leurs enfants comme l'ont fait pour moi mon père et ma mère lorsque j'étais petite, que bien faire leurs devoirs et s'intéresser à ce qui les entoure leur garantira un solide avenir professionnel. En tous cas pas que. S'ils pouvaient également veiller à ne pas être trop vilains, ça serait un gros plus sur leur CV. Bon, d'une certaine manière ça n'est pas si grave vu que dans une quinzaine d'années il n'y aura probablement plus de travail du tout, qu'on soit bien gaulé ou pas. Mais je ne peux m'empêcher de craindre, sérieusement, les effets éducatifs et humains à long terme.
J'ai eu de la peine aussi pour l'adolescente ingrate que j'ai été. A l'époque, dieu sait que j'en ai bavé. Oui, mes kilos en trop me valaient moqueries cruelles et quelques brimades de la part de certains profs de gym sadiques. Oui, ils m'empêchaient de voir se concrétiser tout un tas d'amours à sens unique. Mais s'il y avait bien un domaine dans lequel je ne pouvais envisager que cela puisse m'handicaper, c'était bien celui du travail. Il me semblait même que ce serait mon terrain de revanche, un jour, qu'il arriverait un moment où mes chances seraient égales à celles de cette saleté d'Astrid, belle comme le jour et méchante comme une punaise. Qu'un jour, on n'en voudrait qu'à mon cerveau et que celui-ci devait peser le même poids que celui des autres. Si à l'époque j'avais lu cet article, je ne sais pas bien comment je l'aurais vécu. Je crois que ça m'aurait bien douchée, tout de même.
Peut-être qu'en réalité il y a trente ans c'était déjà pareil, peut-être même que du temps des hommes des cavernes, les plus "beaux" mangeaient les meilleurs morceaux du mammouth. Mais ce qui a changé, il me semble, c'est que désormais, non seulement on ne s'en cache plus mais on aurait même tendance à s'en vanter. Un peu comme on n'est plus si gêné que ça de trouver Marine Le Pen sympa.
En refermant ce magazine, je me suis demandé quand est-ce que c'était arrivé.
Je veux dire, depuis quand exactement c'est devenu secondaire d'être juste quelqu'un de bien ?