La vie est - parfois - facétieuse. Pendant toutes ces années dans mon agence de presse, j'avais certes quelques ami(e)s, mais j'étais également convaincue d'être assez seule dans cette impression de ne pas être à 100% dans ce que je faisais. J'étais également persuadée de devoir à tout prix me planquer, rester dans mon placard de blogueuse et n'en parler qu'à mes très proches.
Bien sûr, au fil des années, ce fut de plus en plus compliqué de taire cette double vie, d'autant que s'il est une qualité que je ne possède pas, c'est bien la discrétion. Il n'empêche que naïve, j'étais assez convaincue que mis à part quelques initiés, personne ne savait qu'ici même j'avais, au hasard, écrit un long billet sur comment c'est bien de se masturber.
Il s'est avéré le jour de mon départ que pas un pékin n'ignorait mes activités. Et que tout le monde en réalité s'en foutait.
Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que ce que je n'ai pas vu non plus pendant ces années, omnubilée que j'étais par ma petite personne, c'est que dans cette équipe à première vue très sérieuse, se cachait une écrivaine. Une vraie, en plus. Je l'avais bien repérée, Aurélie, avec ses cheveux canons, ses jambes canons, son sourire canon. J'avais bien senti que lors de nos pauses clopes qui parfois tombaient en même temps, on aurait eu des choses à se dire. Mais voilà, Aurélie est 1) un petit peu plus jeune que moi (deux ou trois mois) et 2) était arrivée après moi, avec trois ou quatre filles du même âge (ça joue, deux ou trois mois à 24 ans) et du coup on n'était pas dans les mêmes bandes.
Mais voilà, j'avais une sympathie innée parce que je sentais qu'elle n'y était pas toujours à 100% elle non plus. Sérieuse, consciencieuse, mais... mais une mini distance, un petit truc qui ne la faisait pas entrer totalement dans le moule.
Ce n'est que deux ans après être partie que j'ai appris qu'Aurélie, en réalité, n'a pas une vie mais au moins douze. Qu'elle est une dingue du Japon où elle part dès qu'elle peut et dont, je crois, elle parle - un peu - la langue, qu'elle écrit depuis toujours, des nouvelles, des chroniques dans un magazine japonais, qu'elle peint des toiles fluo et qu'elle a un groupe de rock au nom bien déjanté: Babooszchka.
Et surtout, donc, Aurélie Gerlach est l'auteur d'un premier bouquin destiné à la jeunesse mais que j'ai personnellement trouvé hilarant, avant que ma fille me le prenne d'autorité, attirée comme une abeille sur un pot de miel par la couverture: "Où est passée Lola Frizmuth ?". Chez Gallimard Jeunesse, excusez du peu.
La chérie a tranché, "c'est aussi bien que Georgia Nicholson, sauf que c'est encore plus fou". Elle est comme qui dirait au taquet du numéro deux et j'ose pas trop lui dire qu'il est encore à l'état de manuscrit. L'histoire ? C'est celle de Lola Frizmuth, "charisme hors norme et physique de rêve", qui décide de plaquer son bac à venir pour filer au Japon rejoindre Tristan, son amoureux un peu bête. Evidemment, elle va subir pas mal de déconvenues et se trouver embringuée dans une histoire bien compliquée aux frontières du polar ou du roman d'espionnage.
Franchement si vous avez envie d'offrir un bouquin sympa dont votre fille - je pense que c'est destiné aux 12 - 16 ans - ne va pas se détacher jusqu'à l'avoir fini, foncez. Bien sûr je suis de parti pris parce que le hasard fait que ces derniers temps avec Aurélie on s'est plus vues et parlé qu'en des années à bosser dans le même open space. Et que je vois se confirmer un truc : c'est vraiment une fille formidable. Alors si j'ai le moindre pouvoir prescripteur, je suis bien décidée à l'utiliser aujourd'hui. D'autant que je vous l'assure, il y a moyen de ricaner en le lisant, le style emprunte au langage des ados, SMS et pas mal d'argot, mais avec un vrai talent, une gouaille qui en fait un vrai style, justement, pas un truc artificiel et démago censé plaire aux djeuns et écrit par une adulte.
Voilà, c'est tout.