Samedi soir alors que nous venions de rentrer chez nous, je reçois un texto de mon amie C. : "j'ai embarqué par erreur la brosse à dents du machin, ne le fâche pas".
"Le truc pervers consisterait à attendre de voir au bout de combien de temps il s'en rend compte", j'ai répondu.
Oh wait...
Je suis perverse.
A l'heure où j'écris ces quelques lignes, toujours pas le moindre signe d'étonnement de sa part. N'était-ce le respect du corps enseignant et de ses voisins de table, je ferais durer le plaisir.
Je tairai bien sûr le nombre de fois où j'ai eu droit en revanche depuis samedi à son fameux "tu n'aurais pas vu ?"... sa PSP/son DVD d'Amazing Spiderman/son chargeur de PSP/son jeu Naruto".
Je vous rassure, je n'ai absolument rien vu de tout cela, pour la simple et bonne raison que j'ai décidé une bonne fois pour toutes de ne plus consacrer une once de mon cerveau ni de mon temps à chercher ses affaires disparues. Il se peut que son chargeur soit sous mon nez, sa PSP dans mon sac, son DVD sous mes fesses. Ce qui ne m'empêche absolument jamais de lui répondre que non, pas vu, avant même que sa phrase soit terminée. C'est mieux que "dans ton cul", en même temps.
Je me demande si l'instinct maternel ça n'est pas comme les ovules. On a un capital au départ. Et au bout d'un certain temps, il s'épuise sans pouvoir être renouvelé.
A part ça, je crois que mes enfants arrivent eux aussi au bout de leur réserve d'amour filial. A savoir que désormais dès que je dégaine mon Nikon (placement produit inside), j'ai donc droit à l'attitude ci-dessus. Et que dernièrement, le machin m'a méchamment clashée devant TOUS MES AMIS au motif que soit disant je pipote grave leur vie, juste pour faire rigoler mon lectorat.
Je crois que le moment où il va falloir que je réponde de mes actes devant "quelqu'un" arrive à grands pas. En même temps ça ne pourra jamais être pire que cette fois où justement j'avais emmené mon machin "voir quelqu'un", parce qu'il avait comme qui dirait des terreurs nocturnes. Je n'était pas très inquiète, l'enfant étant par ailleurs du genre bonne nature.
Jusqu'à ce qu'on s'installe dans le cabinet de la psychologue (l'autre mot pour désigner un "quelqu'un").
Genre il avait fait ça toute sa vie. Limite s'il n'a pas direct demandé où il devait s'allonger pour parler de ses rêves. Qu'il avait nombreux et terrifiants. Pas terrifiants au sens "tchoupi a fait un cauchemar".
Terrifiants au sens de l'Exorciste.
Une fois son inventaire bien flippant terminé, il s'est mis, à l'invitation de la dame, à dessiner. Au départ, je ne me suis là non plus pas trop inquiétée, sa spécialité étant jusque là les couchers de soleil plantés d'un arc en ciel très gay pride like.
Pas là.
Au fur et à mesure de ses coups de crayon, une sorte de monstre est apparu, dont la tête, fendue en deux, crachait des flammes. Tout ça dans un dégradé de noirs très Soulages spirit.
C'est à dire que j'ai été tentée de lui arracher sa feuille avant que la dame nous expédie fissa aux urgences psychiatriques, mais j'ai senti que ça pouvait paradoxalement agraver notre cas.
L'air de rien, je tentais du coup de lui fourguer les crayons de couleur, glissant subtilement qu'à la maison il ADORAIT ÇA LES COULEURS, HEIN ?
Plus le tableau prenait forme et plus la dame semblait captivée.
Le coup de grâce fut l'explication fournie par l'artiste une fois son oeuvre terminée: "c'est batman qui s'est divisé en deux personnalités. Elles s'entretuent et pour l'instant je ne sais pas laquelle va l'emporter. Mais la gentille est mal barrée". Puis après un temps de quelques secondes, pour ménager son auditoire sans doute: "Ma soeur aussi".
"Hin hin hin, ils sont marrants à cet âge là", j'ai croassé.
La dame n'était pas d'humeur à rigoler (je crois même qu'elle sanglotait).
Autant vous dire qu'on en a pris pour quelques séances.
Au terme desquelles mon cher enfant allait beaucoup mieux et redessinait dieu merci des drapeaux gays (il aurait peint des orgies de mecs à poil que j'aurais applaudi, tout sauf le batman à deux têtes). Quant au diagnostic, il fut le suivant: j'avais visiblement pondu un gamin "intellectualisant un peu trop les choses et verbalisant à sa manière l'angoisse due à sa géméllité". "Faites lui faire du sport pour qu'il évacue ses émotions", m'a recommandé la gentille dame.
Je peux vous assurer qu'on l'a fait courir.
Depuis tout va bien, sauf qu'il ne se lave donc pas régulièrement les dents. Et que mon instinct maternel est sur la jauge.