Il y a deux métiers qui suscitent en moi une admiration sans bornes tant ils me semblent incarner une mise en danger VOLONTAIRE et CONSENTIE.
Pilote d'avion et comique.
Et je crois qu'à bien y réfléchir, comique est encore plus suicidaire que pilote. Je veux dire, qu'y a-t-il de plus difficile que faire rire les gens ? Des gens qui en plus viennent vous voir avec une attente explicite. Ils veulent se gondoler. Le ou la comique a une obligation de résultat sur quelque chose qui est d'une subjectivité sans nom. Ce qui me fait marrer laissera de marbre mon voisin et vice versa. Pour essayer parfois de chatouiller vos zygomatiques, je mesure en plus la complexité de l'exercice. Mais moi, si je me prends un four, quelque part, je n'en sais rien. Ou bien si, mais votre silence un peu désolé, je ne l'entends pas. Bien sûr, il y a parfois quelques bonnes âmes qui ne se gênent pas pour venir me signifier que mouais, bof. Mais c'est malgré tout assez rare. Et même si ça ne l'était pas, ma gêne d'avoir été médiocre reste intime et confinée à mon canapé.
Alors que le gars sur scène, quand une de ses blagues tombe à plat, il est tout de même comme un con, tentant de se raccrocher aux branches. Sachant que bien sûr, un four en entraine souvent un autre.
Tout ça pour dire qu'en dépit d'une nature plutôt bon public et d'un amour inconsidéré pour toute personne capable de déclencher chez moi un fou rire, j'ai toujours une énorme appréhension lorsque je me rends à un one man show. Parce que je souffre en plus d'une affection psychiatrique: un excès très embarrassant d'empathie. En gros, le moment de solitude que vit n'importe quelle personne en difficulté publiquement, je le partage à 100%. Je ne compte pas le nombre de fois où j'ai pu éteindre mon téléviseur ou mon poste de radio quand quelqu'un s'y ridiculisait.
Bref, quand je vais voir un comique, je suis tendue comme un arc et épuisée avant même que ça commence (idem au théâtre, j'ai en permanence peur que l'acteur oublie son texte, probablement un gros transfert qui remonte à l'époque où, apprenant la guitare, j'avais du faire une petite démonstration devant les parents des élèves de l'école de musique. Pas une seule note des trois accords nécessaires pour jouer "Jeux interdits" n'était sortie. Le blanc total. Un jour qui marqua la fin de ma carrière de guitariste).
Alors hier, quand le churros m'a appris qu'il avait réservé deux places pour aller voir Alex Lutz, j'avoue que je ne n'ai pas sauté au plafond, ressentant déjà le trac pour ce gars que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam.
J'étais bien bête d'appréhender parce qu'honnêtement je n'avais pas tant ri depuis bien longtemps. Ce gars est hallucinant de finesse et de talent. Pour une fois j'ai oublié très vite ma peur qu'il se plante et je l'ai suivi durant une heure et demi dans ses délires un peu absurdes, ses imitations de Karl Lagerfeld ou d'une vendeuse de fringues méchante. Alex Lutz est drôle par ses mots, par son élocution qui varie au gré de ses personnages et par son corps de mime. Je ne saurais l'expliquer mais en plus je l'ai trouvé touchant. Souvent les comiques me paraissent toujours être en réalité des personnages moyennement aimables, sûrs de leur fait, arrogants, un peu vulgaires et virant à droite en vieillissant (syndrome Christian Clavier ou dans une moindre mesure, Gad Elmaleh). Lui, je ne sais pas, il me semble qu'il évite l'écueil, en tous cas pour l'instant.
Je crois que son spectacle est en permanence complet mais si vous avez l'occasion d'aller l'applaudir au Grand Point Virgule à Montparnasse, n'hésitez pas une seconde. Pour info, Alex Lutz c'est l'une des deux filles qui épluchent la presse au Grand journal (et l'un des seuls trucs qui me font rire au Grand Journal) et c'était aussi le nazi dans OSS 117. Mais sur scène, il est 1000 personnes à la fois, dont un vieil homme mourant qu'il parvient à rendre drôle dans son naufrage. A parce que oui, en plus il est tout sauf politiquement correct et ça, ça fait du bien.