Je sens que vous trépignez d'impatience. A-t-elle oui ou non réussi son examen hier à la préfecture ? Lui est-il à nouveau arrivé l'une de ses aventures improbables ou pour une fois est-elle parvenue à se fondre dans le moule de l'administration ?
Oui et non. Voire, je ne sais pas.
Hier, je me suis donc trainée dans une des antennes de la préfecture de police de Paris. Avec au creux du ventre la même boule d'angoisse que pour mon cinquième et dernier essai de passage de permis. J'avais TOUT. Mes photos d'identité, les mêmes que celles de l'année dernière où j'avais atteint - croyais-je - le summum de ce qui peut se faire en matière de mine de déterrée. Mon justificatif de domicile, original et photocopié. Ma déclaration de perte dûment remplie, ainsi que le formulaire de demande correctement renseigné. Sans parler des 86 euros de timbre fiscaux - François, ne t'en fais pas pour la dette, avec des gens comme moi, la République peut dormir sur ses deux oreilles.
C'est donc relativement confiante - et néanmoins terrorisée - que j'ai pénétré dans le bureau de la préfecture. Confiance qui s'est immédiatement ratatinée lorsqu'après avoir jeté un oeil à mes photos la dame m'a gratifiée d'un "ça ne passera pas". Ok, je sais, je n'y suis pas à mon max de sensualité dessus, j'ai pensé, mais la République en a bien voulu l'année dernière, elle ne va quand même pas me faire subir un délit de faciès cette fois-ci. J'ai pensé aussi: "putain, fais-chier, ça commence".
Inutile de préciser qu'en revanche je n'ai pas moufté, je sais combien le moindre dérapage peut te faire revenir à la case départ, voire à celle de la sortie sans retour possible.
Tout juste me suis-je permis de demander d'une voix d'enfant de cinq ans prise en flagrant délit de boulottage de nutella entre les repas, pourquoi "ça ne passerait pas".
"Elles datent de l'année dernière, il faut qu'elles soient de moins de trois mois".
Ah. J'ai bien tenté de l'amadouer, sur le mode "j'ai pas changé", mais à priori, si, j'avais beaucoup changé.
Comme elle était hyper sympa, elle a consenti à m'accorder "cinq minutes pas une de plus" pour aller me refaire tirer le portrait dans le photomaton de l'entrée. Par un miracle comme il en arrive parfois, j'avais au fond de ma poche un pauvre billet de cinq euros chiffonné. Ce qui en réalité n'était pas un miracle, la machine diabolique N'EN A JAMAIS VOULU. Sans rire, j'ai ressenti je crois à peu près la même terreur qu'un prisonnier en cavale qui, alors qu'il n'a plus qu'une seule porte à ouvrir pour sortir de la maison d'arrêt s'aperçoit que la clé qu'il a piqué à son geolier était celle de sa bagnole.
Me voilà à moitié à poil dans la cabine - en plein courant d'air alors qu'il faisait moins douze hier - en train de ramasser au fond de mon sac toutes mes pièces de monnaie. Pour atteindre la somme perverse de 4,95 euros.
Si.
Pas 4,20, pas 2,90, sommes qui euent été frustrantes mais au moins, on était loin du compte. Non, hier, ce qui me séparait de ma plage en Guadeloupe, c'était une putain de pièce orange de cinq centimes. La vie ne tient qu'à un fil, ça se confirme. Je vous jure, j'ai entendu mon ange gardien rire à s'en tenir les côtes de là haut.
Une fois le contenu entier de mon sac déversé sur le sol - je ne reviendrai pas sur les matières organiques, voire vivantes, qui s'y trouvaient - j'ai du me rendre à l'évidence. Plus un flèche.
Je ressors alors, complètement échevelée et aussi calme qu'une Christine Boutin venant d'apprendre que Benoit XVI décidait de tout plaquer pour épouser son enfant de coeur, et je repars dans le bureau, sans photo. Au terme d'un délai bien supérieur à cinq minutes.
Ce qui n'a pas du tout fait rire l'agent chargée de mon dossier. Qui n'avait pas de monnaie. Ni ses collègues, ni personne dans la salle d'attente. Et mon cul c'est du poney.
Et puis "elle" est apparue. Ma sauveuse. Une anonyme à jamais, une fée, une CITOYENNE. Propriétaire d'un billet de cinq euros repassé probablement par ses soins, qu'elle n'a pas hésité à échanger contre le mien tout vilain beurk pas bien. Le plus joli billet de cinq euros que je n'avais jamais vu. Limite je n'avais pas envie de le donner à cette salope de machine, qui ne le méritait pas.
Je l'ai quand même glissé dans la fente.
C'était chaud.
Après l'avoir refusé trois fois, ce batard de photomaton l'a accepté.
J'ai suivi à la lettre toutes ses instructions, complètement paniquée à l'idée de rater LE cliché. Je veux dire, dans mon flingue il n'y avait désormais plus qu'une seule balle.
Ça pour pas me louper, je ne me suis pas loupée. Le résultat est improbable. J'ai songé à vous le montrer, mais en fait... non. C'est à dire que désormais, ma gueule sur mon passeport sera un secret mieux gardé que les codes de la valise nucléaire. Imaginez un lapin pris dans les phares d'une bagnole. Rajoutez-lui les cernes de Benicio Del Toro et l'expression de Claire Danes quand dans Homeland elle réalise qu'elle a été piégée par Brody.
Et bien vous êtes loin du compte.
Parce qu'en plus, dessus, je ressemble, ne me demandez pas comment c'est possible, à Gad Elmaleh. (ou plutôt à son père).
Bref, celle-ci, à priori, la République en a bien voulu.
Mais ce serait bien trop simple que de penser que l'histoire est terminée. Non, visiblement, la dame à qui j'ai eu affaire a une dent contre les dindes de mon espèce qui perdent leurs affaires. Après avoir épinglé mes douze timbres fiscaux qui font 86, elle les a brandis derrière la vitre et m'a lancé: "Vous voyez ce que ça vous coûte un peu, de ne pas prendre soin de vos papiers ?".
Ben à vrai dire, oui, un peu. Et ça ne se compte pas qu'en euros. (qui a envie de se balader durant dix ans avec la tronche de "Gad Elmaleh meets un lapin crétin ?")
Ensuite, elle m'a demandé ma carte d'identité.
"J'en ai pas".
Une réponse qui n'a manifestement pas fait remonter ma côte de popularité. "Alors au moins le papier qu'on vous avait donné lors de la délivrance du passeport, vous savez, ce bordereau qui permet d'accélérer les procédures en cas de perte ou de vol ?"
...
Mon silence éloquent a fini je crois de me rendre complètement invisible à ses yeux. Littéralement, je veux dire. A partir de ce moment là, elle ne m'a plus du tout calculée. Et après avoir scanné tous les documents, elle m'a regardée l'air de dire "qu'est-ce qu'elle fout encore là ?" (d'ailleurs je crois qu'en fait elle l'a dit).
Ne sachant pas trop si j'avais le droit de m'en aller - c'est quand même la préfecture de POLICE -, j'ai timidement osé lui poser la question. J'ai interprêté son borgborygme comme un oui. Au moment où je me levais, elle m'a asséné le coup de grace: "N'espérez pas trop quoi que ce soit avant trois ou quatre semaines. Une perte, c'est beaucoup plus long".
Ne me demandez pas pourquoi parce que je n'ai pas vraiment jugé pertinent de l'interroger plus avant.
Bref, hier, j'ai fait renouveler mon passeport. Du moins j'ai essayé.