De 17 à 24 ans, j'ai été amoureuse d'un garçon, qui, à sa manière, m'aimait, je crois. Respectueusement. Très. Trop. Parce qu'à cette époque je voulais croire que ce n'était qu'une question de temps, qu'il n'était pas prêt, je refusais de voir l'éléphant dans la pièce. Il faut dire aussi que dans notre milieu lyonnais un peu bourgeois, "ça" n'existait pas.
Je ne m'étendrai pas sur les tourments de ces années, ils sont loin désormais. Mais je me souviendrai toujours de cette lettre reçue un matin alors que je vivais à Paris, dans ma chambre de bonne sans douche et sans toilettes. Il y avait ces mots, de celui que je chérissais, ces mots qui mis bout à bout signaient la fin de mes espoirs et me brisaient le coeur. Mais au delà de mon chagrin d'alors, ce dont je me souviens le plus précisément, c'est la souffrance qui semblait émaner de ce bout de papier. La peur de s'avouer, de m'avouer, de leur avouer, qu'il n'était pas celui qu'il avait tenté d'être. La honte, la crainte de n'être plus aimé, d'être redouté, moqué. Et puis, en filigrane, la fierté, malgré tout, d'avoir enfin brisé l'omerta. Il aimait les garçons.
Durant des semaines, j'ai pleuré, égoistement, parce que mon plan de vie s'effondrait. Mon amie C. pourrait témoigner, elle qui a tenu ma main, qui m'a emmenée boire chez Camille à Montmartre pour oublier et qui m'a observée, sans juger, me perdre dans quelques relations sans lendemain, de comptoirs en comptoirs.
Il en a fallu du temps pour que nous nous retrouvions, lui et moi. Il en a fallu encore plus pour trouver un moyen de nous aimer autrement. Et puis j'ai rencontré l'homme de ma vie, il a croisé le sien un peu après. Ce qui nous lie aujourd'hui n'a pas vraiment de nom et nous ne cherchons plus à le définir. Hier, il est le premier auquel j'ai pensé.
Je me suis dit qu'un jour peut-être j'irais à son mariage et que cela me rendrait heureuse. Je me suis dit que j'irais peut-être aussi au mariage de son frère et que cela me rendrait heureuse. Je me suis dit qu'il y manquerait quelqu'un et que ce quelqu'un aurait été lui aussi tellement heureux. Je me suis dit que le chemin parcouru depuis cette période où l'annonce de l'homosexualité de l'un d'entre nous avait provoqué un tremblement de terre dans notre bande d'amis, où certains avaient décrété que c'en était trop, était terminé.
Après, je me suis aussi souvenue que dans la rue, ils étaient encore des milliers à battre le pavé, pour refuser à tous ces couples qui s'aiment le droit de se marier et d'enfanter. Et cela a terni un peu ma joie. Après, j'ai éprouvé un peu de colère vis à vis de notre président, qui je crois aurait du affirmer un peu plus fort sa conviction et sa foi dans ce projet de loi. Et puis j'ai fini par me réconcilier virtuellement avec lui. Parce qu'après tout, ce dont on se souviendra, dans dix ans, dans vingt ans, dans cent ans, c'est uniquement de cela: le 22 avril 2013, en France, les homosexuels ont enfin eu la permission de vivre exactement comme les hétérosexuels. De s'épouser s'ils le souhaitent, d'adopter des enfants, d'hériter au même titre que monsieur de madame.
Je suis fière, parce qu'hier, l'amour a triomphé.
Je suis fière d'avoir par mon vote un peu compté dans celui d'hier. Je suis fière de pouvoir regarder mes enfants et de leur dire que nous leur avons ouvert cette porte. Je ne sais pas s'ils seront concernés un jour, mais je sais qu'ils auront le droit de l'être le cas échéant.
Mais au fond de moi, aussi, j'ai peur. Parce que depuis quelques semaines, je n'ai jamais entendu autant de propos homophobes. Que dans la cour du collège, l'insulte la plus en vogue reste "sale pédé". Et que par leurs élucubrations fantaisistes, Christine Barjot, Frigide Boutin et leurs émules, ont semble-t-il libéré une drôle de haine. Puissent ces émanations s'évaporer maintenant que la démocratie, oui, la DÉMOCRATIE, a parlé.