La ronde a été mince. La première fois, c'est arrivé sans prévenir. Un chagrin trop fort. La ronde aimait à en devenir folle et lui ne voulait pas d'elle. Elle a cru que sans ses kilos, il changerait d'avis. Alors elle a arrêté de manger. Au début, de toutes façons, elle n'y arrivait plus, trop de larmes avalées. Très vite, elle a fondu. Alors elle a continué son jeûne. Elle avait bien la tête qui tournait un peu et les jambes qui flageolaient dès les premières heures du jour. Mais cette fatigue n'était rien, comparée à ce corps qui s'affinait de jour en jour. Elle a commencé à porter des jupes, de plus en plus courtes. Elle s'est acheté des tenues plus moulantes et provocantes les unes que les autres. Moins cinq kilos, moins dix, moins quinze. La ronde n'était plus ronde.
Elle passait des heures à se regarder. Pas tellement pour s'admirer, non, juste parce qu'elle n'en revenait pas de ce corps qui n'était pas le sien. Lorsqu'elle surprenait son reflet dans les vitrines des magasins, elle sursautait. Quand les regards des hommes se faisaient plus insistants, elle n'y croyait pas. Si pour les autres elle était devenue mince, elle restait à ses propres yeux plus grosse que jamais.
Pourtant, la graisse s'en était vraiment allée. Allongée, elle sentait les os de ses hanches. Ses épaules saillaient et ses seins avaient fondu. Elle avait maigri de partout. Les bagues glissaient de ses doigts et même ses chaussures étaient devenues trop grandes. Le soir, la ronde tremblait dans son lit, cette maigreur lui donnait froid et lui faisait presque peur. Mais elle aurait préféré mourir plutôt que reprendre du poids.
Il lui fallut toutefois un jour se rendre à l'évidence, l'objet de tous ces sacrifices, celui qui avait tout déclenché, ne l'aimait pas plus. Son poids n'avait rien à voir dans ce désamour, finit-elle par apprendre, le garçon en question n'aimait que les garçons...