Comme personne ne l'ignore désormais - ah bon, y'en a qui l'ignorent ? Alors allez par là, après vous serez au jus - l'avion et moi, ça fait deux, voire douze. Le problème c'est que y'a pas à dire, c'est pratique. Et que pour les îles grecques c'est même ce qui se fait de mieux, au moins pour aller jusqu'à Athènes.
Alors je n'ai écouté que mon courage et j'ai pour la première fois depuis cinq ans accepté de prendre un cercueil volant avec homme et enfants alors que PERSONNE ne m'y obligeait - le reste du temps je le prends sous la contrainte de mon employeur, en même temps c'est normal, dans mon emploi que j'ai je suis chargée de l'international, cherchez l'erreur.
Avant de partir, tout le monde me disait, "tu verras, avec les enfants de toutes façons, tu n'auras pas le temps d'avoir peur, en plus tu prendras sur toi parce que tu ne voudrais quand même pas leur transmettre ta phobie non plus ?". Vous remarquerez au passage comme cette phrase au départ réconfortante glisse subrepticement vers la culpabilisation, hein.
Je vous passe aussi les très réjouissants "Au moins vous partez tous les quatre, si y'a un problème, vous y passez tous, pas d'orphelins comme ça". Ah ben oui, là tout de suite, j'ai envie de courir à Orly pour un bon vieux suicide collectif, moi. Plus vite on se sera foutu en l'air, plus vite je serai soulagée, en fait.
Bref, y'a bien fallu le prendre ce navion à la con et sans tranquilisants en plus parce que je ne voudrais pas non plus transmettre mon addiction au lex*o à ma bambinette.
Alors après coup, que les choses soient claires, à tous ces gros malins qui m'assuraient que je n'aurais "pas le temps d'avoir peur", je dis: mistake. Quand tu affrontes ta phobie number one avec le fruit de tes entrailles, t'as la même trouille que d'ordinaire sauf que là en plus t'es obligée de la fermer. Du coup tu verbalises pas et la peur grandit, grandit à l'intérieur de toi jusqu'à devenir un truc bien pourri, tu vois.
Même pas possible de t'accrocher comme une malade à ton siège au décollage ou de freiner désespérément avec tes accoudoirs à l'atterrissage. Inimaginable également de faire l'oeuf à la moindre perturbation ou de t'enfiler des mignonettes pour faire passer le temps - rapport à l'alcoolisme que tu ne veux pas transmettre tout de suite à la chair de ta chair.
Il te faut aussi rester stoïque devant les innombrables questions de petite chérie tout éblouie de prendre l'avion for the first time et répondre sans pleurer à ce genre d'interrogations:
- Pourquoi il a un gilet de sauvetage le monsieur, maman ?"
- C'est rien ma chérie c'est juste au cas où on aurait une petite panne au dessus de la mer, du coup on aurait de quoi nager et le steward nous montre comment faire, ce qui est drôlement gentil de sa part, je trouve".
Deux minutes plus tard.
- Et si on a une panne mais pas au dessus de la mer, il se passe quoi maman ?
- (voix étranglée) Je... ben disons que dans ces cas là on a pas besoin des gilets de sauvetage, tu vois ?
- Oui mais qu'est-ce qui se passe ?
- (voix de plus en plus blanche) Ecoute, je ne sais pas, de toutes façons ça n'arrive jamais mon petit coeur, pas la peine d'avoir peur, regarde, maman n'a pas peur, donc toi non plus, hein ?
- Nan mais j'ai pas peur, je veux juste savoir qu'est-ce qui se passe ?
- (voix de folle) Ce qui se passe ? On s'écrase. Voila ce qui se passe. Et on meurt tous. Terminé, basta, plus personne. Voilà, t'es contente maintenant ? D'autres questions ?
Vous l'aurez compris, je crois qu'au niveau de la transmission de phobie, je ne me suis pas loupée sur ce coup là. Rassurez vous, pupuce qui est prête à pleurer pour une fourmi écrasée est restée totalement de marbre, croyant peut-être à une plaisanterie maternelle ou révélant à cette occasion une solidité psychologique hors du commun. A moins qu'elle soit insensible. Si ça se trouve j'ai enfanté un monstre. Quoi qu'il en soit, tout le voyage a été à l'avenant. J'ai donc eu droit à l'épluchage consciencieux de la fiche de sécurité:
- "Maman, pourquoi la dame sur le dessin elle met sa main sur la tête de son bébé ?"
- (voix larmoyante): pour le protéger pendant le crash mon amour"
- "Et là, pourquoi faut se mettre en boule ?
- (voix terrifiée): pour ne pas abimer ta tête au cas où l'avion atterrit brutalement mon petit coeur"
- Oh t'as vu, y'a des tobbogans sur les côtés ! Dis, tu crois qu'on va aller sur les toboggans ? Dis, on ira ?"
- (voix recueillie): Dieu nous en préserve, mon petit amour...
Le coup de grace ayant probablement été l'exclamation deux minutes après le décollage:
"Tiens, on s'est arrêtés ! T'as vu maman ? On entend plus le moteur, on s'est arrêté ! C'est déjà là la Grèce ?".
Bon, je vous rassure, après je l'ai moins entendue parce que pupuce n'a certes pas du tout peur en avion, mais en revanche... elle est malade.
Comme en voiture, en train, en bâteau, en métro, en bus. Il me manquait l'avion, et bien ça y'est, j'ai pu vérifier qu'elle pouvait AUSSI vomir en l'air. Trop forte ma fille, une warrior du dégueulis.
Et c'est à ce moment là, je vous le dis, que j'ai regretté d'avoir mégotté sur l'argent et choisi Easyjet. Déjà les mignonettes, gosse ou pas gosse, t'oublies ou tu les payes le prix d'un Paris-New-York. Tu prends aussi un aller simple pour la phlébite avec les douze centimètres impartis pour tes jambes mais ça c'est limite pas grave au regard de ce que j'ai vécu lors de la descente sur Athènes.
Parce que figurez vous que chez Easyjet, ils font même des économies sur les sacs à vomi. Non seulement ils les changent pas d'un voyage à l'autre - à savoir que celui de petite chérie avait servi de cendrier à chewing gum à son prédécesseur ce qui n'a pas rendu son ouverture facile - mais je suis prête à parier également qu'ils rognent sur les dimensions. C'est simple, pupuce en a rempli cinq, sans compter ce que j'ai pris sur mon pantalon.
Le point positif, c'est qu'en effet, à ce moment là, je le concède, j'ai oublié que j'avais peur. Le point négatif c'est que mon mignon voisin, lunettes mouche gucci, sac monogrammé et parfum JPG a bien failli finir le travail de petite chérie - elle a le gerbis communicatif, le trésor - et que lorsqu'il s'est aperçu que je lui avais subtilisé sa pipette à vomi, je pense pouvoir affirmer que ce que j'ai vu dans ses yeux c'était de la haine pure.
Voilà, moi je dis, fais des gosses, avec eux c'est Koh Lanta tous les jours sauf que tu gagnes jamais rien à la fin...