Alors parmi les mythes que je me dois de démonter il y a celui de la décoration du sapin de Noël. Oui, je sais, toute fille qui n'a pas encore d'enfant et qui ne milite pas dans une asso de no-kidding se fait un gros gros film sur le jour béni où elle décorera avec son adorable bambin un énorme sapin que son homme aura ramené de chez le pépiniériste en le trainant dans la neige pendant que Franck Sinatra chante un standard de Noël.
Hélas, trois fois hélas. Je préfère te le dire tout de go: dans tes rêves.
Déjà, la neige, tu oublies. Sauf si tu habites à Montréal ou dans le Jura, je te rappelle que jamais tu n'auras de poudreuse dans la rue autour du 15 décembre. Surtout qu'au cas où tu l'aies pas remarqué on a léger problème de réchauffement climatique, parait.
Ensuite, ton homme, autant le dire, en général ça le fait grave braire de se taper de porter un sapin énorme - rapport qu'il a cédé aux enfants qui ont immédiatement désigné le plus grand comme le leur et se sont roulés par terre pour que ce soit celui-ci et pas un autre qui trône dans ton salon.
Donc il arrive en sueur, des épines pleins les cheveux - oui, même les Nordmann qui coûtent un bras perdent leurs aiguilles en revanche ils ne sentent pas le pin, autre désillusion - pestant contre tes lardons qui à force de vouloir l'aider ont fini par le faire déraper dans une merde de chien. Alors qu'il s'attend à être accueilli par une femme aimante et reconnaissante, à peine il a franchi la porte de l'appartement, tu lui tombes dessus en hurlant qu'on avait bien dit de prendre un MOYEN !
Là, bien sûr, l'homme s'en va aux toilettes - son endroit à lui - exaspéré, te lançant son fameux et sans appel "de toutes façons ça ne va jamais comme je fais" et te laisse enlever le plastique qui entoure le sapin. Tu perds deux kilos et te nique un nerf de l'épaule et une fois que tu y es parvenue tu te rends compte que non seulement le machin est grand... mais handicapé. Genre amputé de sa branche gauche principale. A moins que ce ne soit une malformation.
A ce stade, tu commences à voir s'éloigner ton rêve de magnifique arbre de Noël. Tu sais, celui par exemple des Quatre filles du Docteur March. Mais si, je suis sûre que tu vois. Pendant qu'il neige à gros flocons, les quatre fillettes papillonnent autour d'un arbre magnifique sous le regard attendri de leur mère en train de repriser des haillons. Rien que d'y penser, tu retrouves ton calme et tu appelles tes enfants leur annonçant qu'il est temps de passer aux boules et aux guirlandes.
Hystériques, les bambins déboulent en hurlant dans un ordre assez variable: "moi d'abord ! moi d'abord ! Maman, maman, c'est moi qui mets l'étoile, hein ? Dis hein que c'est moi qui met l'étoile ? Hiiiiiiiii, maman, il m'a pris l'étoile, nooooooooon, pas cette guirlande, elle est à moi, maman, hein qu'elle est à moi la guirlande? Aïe, elle m'a tapé, heu ! Oui mais elle m'avait mordu maman. C'est même pas vrai en plus j'ai pas fait exprès".
(Petite apparté je reviendrai un jour sur cet étrange phénomène qui pousse tes enfants à se pincer, mordre, tirer les cheveux, coincer les doigts dans la porte sans toutefois jamais le "faire exprès".)
Sans te départir de ton air de madame March qui en a vu d'autres rapport que son mari est à la guerre depuis deux ans et qu'il continue à combattre malgré sa jambe en moins et qu'elle vient de vaincre la scarlatine qui a terrassé ses quatre filles et qui fera d'ailleurs succomber la plus jeune, Amy, mais ça elle ne le sait pas encore, tu ouvres la boîte à trésors remplie de bibelots amoureusement chinés par toi même depuis des années en attente de ce moment si spécial.
Bibelots sur lesquels tes enfants qui n'ont déjà plus rien d'humain se ruent la bave au lèvres et les yeux révulsés.
Pour les accrocher... tous sur la même branche.
Si si. Je te jure, c'est scientifique. Si tu laisses les enfants décorer seuls un sapin, ils s'acharnent sur UNE branche qui à la fin croule sous les boules et guirlandes. Et choisissent de préférence les babioles les plus immondes, celles gagnées il y a des années lors d'une soirée entre copains où le génial principe était d'offrir des merdes à 10 francs.
Madame March, elle, jamais elle ne s'énerverait. Jamais elle ne prendrait du coup la direction des opérations, refusant que quiconque autre que toi même décide de l'emplacement de chaque décoration. Jamais elle ne finirait par asséner à son fils - ok, elle n'en avait pas d'où le titre du livre mais c'est une image - tentant de refourguer sur la plus belle branche du sapin la boule en papier maché orange fabriquée en deuxième année de maternelle et amoureusement conservée d'une année sur l'autre que décidément, non, ça c'est trop moche.
Deuxième apparté: je ne saurais que trop te recommander d'aller lire chez ClaireMM un récit finalement du même ordre et extrèmement savoureux sur le malheureusement trop célèbre goût de chiotte enfantin.
C'est clair que madame March ne se transforme pas en Super Nanny, elle. Je veux parler de la dame de M6 qui pointe son index supersonique en menaçant les apprentis psychopathes censés devenir grace à elle de doux agneaux de son légendaire: "ça c'est NON". Pour info j'ai essayé le coup de l'index qui dit non mais à mon avis si t'as pas les caméras à côté et la tronche de super nanny c'est pas la peine.
En même temps, le jour où ta fille ira se raser les cheveux et vendre sa crinière pour te permettre d'acheter des cadeaux à toute la famille comme le fait Jo March, ma préférée dans l'histoire, moi je dis, elle aura le droit de te faire des reproches rapport que t'es le kadhafi du sapin de Noël. Mais sinon, non.
Bref, en gros, moi je dis, si tu as envie que ton sapin ressemble à celui d'Ally mac Beal, fais le toute seule. Et propose à tes mouflets de choisir ce qu'ils veulent dans la boîte à trésor pour décorer leur chambre. Comme ça tout le monde il est content. Sinon, tu peux être une vraie madame March et supporter un sapin handicapé ET orné d'une étoile baromètre en stuck rose et bleu clair. Mais je te préviens, c'est dur.