Comme j'étais hier à Bruxelles et que je suis rentrée très tard je n'ai pas eu le temps d'écrire. Alors je vous propose un texte assez ancien. En fait j'ai repensé à ce texte après avoir lu toutes ces choses sur la chirurgie esthétique. Et comme vous pourrez le constater, je suis loin d'être réfractaire à toute modification de mon apparence physique...
Edit: Forcément, le grain de beauté de Cindy n'a pas grand chose à voir avec ce dont je vais vous parler...
Lorsqu'elle se regarde dans la glace le matin, elle voit la petite marque. Une petite griffe d'un centimètre de long, fine et blanche, invisible pour qui ignore son existence. Loin de lui poser un problème, cette minuscule cicatrice à mi-chemin entre sa lèvre supérieure et l'arrête du nez lui est chère. Comme la marque secrète d'une époque révolue...
"Vous verrez, c'est tout petit et pourtant ça changera tout", lui avait dit le chirurgien. Sur le moment, elle ne l'avait pas vraiment cru. Après tout, se faire oter un grain de beauté même bien mal nommé, quoi de plus anodin ?
30 ans qu'elle vivait avec cette légère protubérance. D'une tête d'épingle charmante elle était devenue au fil des années une pointe d'allumette pour atteindre depuis quelque temps la taille d'un petit pois. Le grain de beauté eut été foncé, il eut peut-être eu plus d'allure. Mais là, l'affreux naevus était à peine plus foncé que le reste de sa peau, tout juste tacheté de brun en son extremité. Tant et si bien qu'il se rapprochait bien plus de la verrue que d'un quelconque attribut.
Souvent, elle voulut le faire enlever. Mais toujours elle "oubliait", freinée peut-être par les vestiges d'une éducation judéo-chrétienne selon laquelle on ne change pas ce que la nature divine a créé. Un jour, un dermatologue l'avertit qu'une intervention laisserait immanquablement une trace, peut-être plus voyante encore que l'excroissance détestée. Il lui conseilla de passer à l'acte le jour où elle ne pourrait plus cesser d'y penser. Alors elle continua à tourner la tête de l'autre côté sur les photos de vacances et à éprouver cette gêne impalpable lorsqu'elle croisait son reflet.
Et puis le jour arriva où elle ne pensa plus qu'à ça. Il lui semblait que la proéminence n'en finissait plus de grossir, envahissant son visage. Elle aurait juré que dans son dos, on ne parlait plus que de ça.
Rendez-vous fut donc pris. Le chirurgien plasticien installé dans les beaux quartiers effectua l'ablation en quelques minutes. Un peu groggy en raison d'une légère anesthésie, elle repartit chez elle à la fois soulagée et inquiète du résultat.
Dès les premiers jours, alors que les points cousus de fil bleu étaient pourtant plus apparents que le grain de beauté, les réactions de l'entourage furent unanimes.
Certains ne savaient pas pourquoi, mais elle avait changé. Dans les mois qui suivirent, on lui demanda souvent si elle avait fait un truc à ses cheveux, et même si elle n'avait pas maigri. En tous cas, elle semblait "en pleine forme", il y avait "quelque chose de plus doux sur son visage", etc.
Le plus drôle, c'est qu'en même temps, peu de gens s'apercevaient de la disparition du petit pois.
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"C'est tout petit et ça changera tout"... C'était il y a trois ans. Depuis, elle a osé les cheveux blonds, elle marche un peu différement et se laisse capturer de face par les objectifs. Et le matin, souvent, elle passe le doigt sur l'invisible trace, ravie de ne plus y rencontrer que le velouté d'une peau presque neuve.
On dit qu'on ne s'aperçoit jamais tant qu'on a aimé que lorsque l'objet de cet amour nous échappe. Mais il en est de même pour tout ce nous pèse. Il faut parfois en être débarrassé pour mesurer le poids de ces touts petits rien qu'on supportait jusqu'alors...