Hier, en rentrant de l'école, mon fils ma bataille m'avertit sur le chemin qu'il a un secret à me dire. "Bien sûr mon chéri, je t'écoute", lui réponds-je avec ma voix de mère parfaite, attentive et ouverte. "Non, pas maintenant", soupire mon chérubin, avec force coup d'oeils appuyés du côté de sa soeur, manifestement pas invitée dans la confidence. Cette dernière fait mine de ne pas entendre s'appliquant ensuite avec une grande subtilité à suivre mère et frère pas à pas, de la cuisine aux toilettes et des toilettes au salon, bien décidée à ne pas perdre une miette de ce qui s'annonce croustillant.
A tel point que je finis par l'envoyer manu militari dans sa chambre le temps que chouchou crache sa valda. Elle s'exécute de mauvaise grace, maugréant que "dans ces cas là faudrait quand même mieux ne pas dire que y'a un secret parce que ça donne trop envie de savoir".
A ce stade de l'histoire, je me dois d'admettre que les chiens ne font pas des chats et qu'il y a fort à parier que la demoiselle ne soit pas forcément allée dans sa chambre mais soit plutôt restée en embuscade derrière la porte du salon, étant donné qu'elle n'a même pas tenté par la suite de me tirer les vers du nez, cqfd.
Bref, une fois le facteur "soeur" évacué, mon fils s'est assis sur le canapé, s'est tortillé cinq minutes puis m'a laché, mi-gêné, mi-fanfaron: "Cet après-midi, à la récré, avec M..., on s'est retrouvés dans le préau et on s'est cachés derrière un panneau. Et on l'a fait. On s'est embrassés sur la bouche".
A cet instant, j'avoue, j'ai réprimé une forte envie de prendre ce grand gaillard, de le plier en douze et de le ré-expédier fissa à l'intérieur de moi même histoire qu'il aille tenir compagnie à sa cadette. Ensuite, j'ai plutôt hésité entre le serrer très fort parce que tout de même un premier baiser ce n'est pas rien dans la vie d'un homme fusse-t-il encore trop petit pour certains manèges à Disney, et une autre option, aller chercher cette trainée de même pas huit ans qui avait donc abusé de mon innocent angelot à peine sexué.
Au lieu de ça j'ai bredouillé un minable: "C'est... c'est bien mon chéri, je suis très contente pour toi, mais il ne faudrait pas non plus faire ça tout le temps, je ne suis pas sûre que les maitresses...". Mon fils m'a regardé, affligé, probablement très déçu de constater que sa mère, apolitique de gauche en plus, n'était finalement pas très progressiste. Quelque peu exaspéré, et me prenant ostensiblement de haut il m'a assuré que personne ne les avait vus, que je n'avais pas à m'inquiéter et que vraiment, ils s'étaient juste fait un bisou sur la bouche, "pas plus".
Je crois que c'est à ce moment là que j'ai justement commencé à m'inquiéter. A cause du "pas plus". A cause de ce que mon visiblement très précoce rejeton mettait dans ce "pas plus". Ou, d'ailleurs, plus probablement, ce que cette dévergondée de M... entendait par "pas plus", rapport que pas plus tard que la veille - ou il y a trois ans, peu importe - mon enfant à moi lisait Tchoupi dans son lit. Et que Tchoupi ne sait pas ce qu'on peut faire de "plus" qu'embrasser sa copine sur la bouche. Voire, il ignore totalement qu'on peut s'embrasser sur la bouche.
Inutile de préciser qu'évidemment, je n'ai surtout pas cherché à savoir, trop inquiète à l'idée qu'il me réponde qu'il ne lui avait pas roulé une pelle, quoi. Ou "plus".
J'ai donc repris tant bien que mal mon air de mère parfaite et ouverte et demandé, avec une voix la plus assurée possible ce qu'il avait ressenti, s'il n'avait pas été trop embarrassé après, s'ils ne s'étaient pas sentis un peu bêtes, etc etc (je sais, que des choses positives en somme mais je priais en mon fort intérieur qu'ils aient réalisés tout deux être trop petits encore pour ces choses là et qu'en être totalement normal il ait surtout gardé le souvenir d'un truc dégoutant)
Las, celui qui, il y a huit ans, c'est à dire donc avant-hier, mettait encore des couches, m'a répondu avec la franchise désarmante qui le caractérise: "Ben, un peu de tout ça mais surtout... on s'est sentis drôlement heureux".
Je vous laisse il faut que j'aille inscrire mon fils au couvent.