Le jour où l'enfant parait, tu te dis, plus jamais je ne serai seule.
Erreur.
Quand l'enfant parait, tu entres dans une période de ta vie où certes tu n'es plus seule - que même tu donnerais cher pour trois minutes d'isolement - mais où t'attendent de grands, grands, grands moments de solitude.
Sauf que toi depuis que poupinette est née tu lui as acheté trois barbies noires, tu la fais garder par Lowette, nigérianne de son état et tu bourres le mou de ta progéniture de principes altruistes et anti-racistes. Probablement trop d'ailleurs vu le résultat contre productif.
Tout ça pour rien, donc.
Bref, l'enfant semble né pour te coller la grosse honte.
Mais ce que j'ai cité plus haut n'est RIEN comparé à MON moment de solitude.Le mien à moi, MA honte intersidérale que tu ne pourras pas lutter tellement que c'est la pire.
C'était il y a cinq ans environ.
Grand machin n'était encore qu'un tout petit garçon. Angélique.
Ce jour là, je l'emmène chez le médecin. Un homme d'une cinquantaine d'années bien comme il faut. Et passé l'examen des oreilles, je demande, gênée et balbutiante, si le docteur il pourrait pas regarder un peu plus bas, au niveau du zizi.
Déjà, je fais un gros effort, parce que parler du zizi de son enfant à un médecin c'est, je t'assure, compliqué. Moins que de dire que ta fille a une mycose, tu me diras, parce que là, trouver le vocable qui ne te fait pas passer pour une vieille perverse ("elle se gratte la vulve") ou pour une coincée catholique ("elle a mal à son petit endroit"), voire pour une nunuche immature ("sa zézette la pique"), c'est un sacré challenge.
Bref, je demande au monsieur de jetter un oeil au cui-cui qui, je le crains, ne décalotte pas comme il faut.
Là encore, bonjour comment tu te sens à la limite de la déviance sexuelle. Parce que forcément, si tu SAIS que ça décalotte pas, c'est que tu as regardé. En même temps, tu es sa mère, non ?
Si.
Et d'ailleurs, le médecin ne te regarde pas comme une délinquante.
En revanche, tu sens qu'en tant qu'homme, il a déjà mal pour l'enfant chéri.
Mais il n'oublie pas que son serment d'hypocrate, il l'a prêté. Et que voilà, parfois, être docteur c'est coton. Donc, avec toute la délicatesse dont il semble pouvoir faire preuve et en s'entourant des précautions d'usage, le généraliste dévoué tente de faire sortir le petit oiseau. Tu le vois qui serre les jambes comme si c'était le sien qu'on essayait de décoller de son emballage.
Pendant ce temps, ton petit garçon adorable devient tout rouge mais serre les dents. Un héros, déjà, tu te dis. Mon bouchon, c'est pour ton bien, un jour, tu verras, tu comprendras, que tu te dis, pétrie de culpabilité.
Au bout de deux ou trois essais infructueux, le médecin renonce et t'explique qu'il ne peut pas aller plus loin, trop d'adhérences, il va falloir attendre un peu et peut-être même pratiquer une petite intervention. Bénine. Et sous anesthésie. Parce que là, le bonhomme, il a été courageux mais quand même.
D'accord que tu dis, soulagée que le calvaire de ton chouchou ait pris fin.
Le médecin, libéré de sa tache ingrate, tourne les talons et se dirige vers son bureau pour remplir la feuille de soin.
Et c'est là que ça se passe.
Alors que tu t'apprêtes à rhabiller ton bébé et qu'un silence parfait envahit la pièce, une petite voix - oui, la même haut perchée que dans le métro avec la grosse dame qui sent mauvais - retentit.
"Encore". Et, au cas où on n'ait pas vraiment compris: "Encore le zizi".
T'en as un pire, toi ?
J'en étais sûre.