Ce week-end, j'ai dévoré "Les heures souterraines" de Delphine de Vigan. Autant vous prévenir, ce n'est pas à proprement parler le bouquin le plus drôle de la rentrée.
On pourrait même dire que c'est sacrément triste. Genre no future, pas grand chose à sauver dans l'humanité.
Et en même temps, il est d'utilité publique, ce livre. Même qu'il tombe à point nommé et trouve des résonances dans l'actualité qui le rendent évidemment encore un peu plus juste.
L'histoire ? Mathilde, 40 ans, 3 enfants, subit un harcèlement silencieux mais tenace au travail depuis huit mois. En cette journée du 20 mai, sur la foi d'affirmations douteuses d'une voyante vue en désespoir de cause, elle va, elle en est sûre, rencontrer un homme qui changera le cours de sa vie.
Cet homme c'est peut-être Thibault, médecin urgentiste, qui lui a décidé de quitter une femme qui ne l'aime pas comme il voudrait et qui va de domicile en domicile diagnostiquer crises d'angoisses, bronchites aigues ou abandon caractérisé.
Si l'histoire de Thibault m'a un peu moins accrochée, j'ai été stupéfaite par la précision et le réalisme de la description du harcèlement moral que subit Mathilde. La destruction minutieuse et implacable de sa confiance en elle, l'isolement progressif, l'indifférence polie de ceux qui quelques semaines auparavant étaient des compagnons de machine à café, les vexations invisibles à l'oeil nu, le déni absolu du harceleur, l'impossibilité de remonter le fil jusqu'au moment où tout a basculé.
La honte, surtout, celle qui pousse à se taire, même auprès de ses amis, parce qu'on a la sensation que peut-être en réalité, tout ça, on l'a bien mérité. Surtout, comment décrire précisément ces suites de micro-événements, ces silences étouffés, ces mails jamais reçus alors qu'ils ont été envoyés, ces pots de départ organisés alors qu'on est en RTT ? Impossible.
Impossible également, à un certain stade du processus, de suivre les conseils avisés d'un syndicaliste de bonne volonté: tout consigner, noter par écrit chaque événement, ne pas lâcher un pouce de terrain, surtout ne pas démissionner. Impossible pour Mathilde de se battre, parce que pour cela il faudrait avoir encore une once d'énergie.
Voilà, il faudrait imposer la lecture de ce livre à tous les DRH de France et de Navarre. Il faudrait en envoyer un caisson au patron de France Telecom, à celui du Techno-centre Renault et à tous les anonymes qui broient quotidiennement des vies, en toute impunité, sans jamais risquer la garde à vue.
Les heures souterraines c'est aussi une peinture de la ville et de ses entrailles, du flot humain qui se déverse soir et matin dans les boyaux du metro. C'est la chorégraphie oppressante de nos solitudes qui se croisent sans parfois jamais se rencontrer. A ce titre, ce cliché illustre, je trouve, parfaitement le quotidien de bon nombre de parisiens...
Edit: Photo trouvée sur un joli blog, parfois mes pérégrinations me réservent de belles surprises...