Quand j'ai appris qu'Helmut serait une fille, je me souviens avoir tout de suite pensé que ce serait difficile pour sa soeur ainée, cette future concurrence. Bien sûr elle était déjà grande, à huit ans on ne réagit pas comme à trois, on est en âge de comprendre que le coeur des papas et des mamans est élastique. Mais enfin, être la seule petite chérie de la famille, ce n'est pas rien.
Et forcément, comme toujours quand on se fait des cheveux, la vie, qui a plus d'imagination que nous, vous surprend. De jalousie de l'ainée, il n'y a point eu. Un peu d'agressivité à mon égard, un peu d'angoisse certainement de ne plus bénéficier d'une exclusivité dont elle profitait depuis des années, oui. Mais jamais un geste mal placé, jamais une parole plus haut que l'autre. Plutôt d'ailleurs une dévotion totale, une façon de s'en occuper presque trop parfaite, un amour qui déborde.
Ce qui n'est pas très exactement réciproque de la part de mon Helmut de fille.
Qui est en effet chameau de chez vache avec sa soeur, dès qu'elle approche d'un peu trop près son père ou sa mère. Qui la lacère à la moindre contrariété, quand elle ne la mord pas férocement sans vraiment de raison valable.
Alors qu'elle monopolise déjà 99% de notre attention quotidienne, la petite dernière semble avoir besoin de jouer des coudes pour acquérir le 1% manquant. Quand on y pense, ce n'est pas si étonnant, après tout, comment ne pas être envieuse de toutes ces années pendant lesquelles elle n'a pas été là ? Comment ne pas avoir besoin de faire dix fois plus de bruit, d'occuper dix fois plus l'espace pour faire oublier qu'on est arrivé en dernier ?
Je suis l'aînée de quatre enfants, alors forcément, j'ai projeté, enceinte, sur mes grands et surtout ma grande d'ailleurs, quelque chose que j'ai très certainement ressenti à un moment ou à un autre de mon enfance. Mais je n'ai jamais eu à l'esprit que ce serait ma "cerise sur le gâteau" qui puisse avoir des états d'âme.
Et puis un jour, son frère m'a confié, très triste: "Tu sais ce qui est vraiment dommage ? C'est que Rose ne se souviendra jamais de votre mariage".
On se dit toujours que ce qu'on a pas vécu ne peut pas nous manquer. Mais peut-être qu'on se trompe...