La première fois que je suis allée à Venise, j'avais 12 ans, c'était avec les scouts - oui, personne n'est parfait, j'ai 7 ans de scoutisme à mon actif, avec un aumônier qui s'est avéré pédophile des années après, ce qui n'est pas sans rapport avec ma légère tendance à bouffer du curé aujourd'hui - et déjà, j'avais ressenti au plus profond de moi l'extraordinaire pouvoir romantique de cet endroit. Rien d'original à ça, on est d'accord, mais à 12 ans, je ne savais même pas ce que ça signifiait, ce terme de romantisme. Simplement, malgré mon cafard d'être loin de chez moi, ma haine de l'esprit de troupe qui nous était imposée, j'étais transportée par cet atmosphère.
La seconde fois, j'avais 18 ans, j'étais en prépa Hypokhagne - un ratage total, pas mieux que les scouts et toujours cet esprit de troupe, à bien y réfléchir - et là encore, malgré le peu d'amis que je m'étais fait dans cette classe (la vente de petits pains au chocolat à toutes les récrés pour financer le voyage n'y avait rien fait), je rêvais d'amour sur les canaux, mais il ne me regardait même pas. Alors, avec les deux autres cancres de la promo, les seuls ne se promenant pas le guide bleu greffé à la main, on s'est pris la plus grosse cuite de ma vie: une bouteille de mauvais rhum à trois, des courses poursuites sur la place saint Marc, une traversée abominable jusqu'à l'auberge de jeunesse sur l'île de la Giudecca et pour finir un vomi magistral du haut de mon lit superposé qui a atterri directement sur les pieds de la première de la classe qui allait se coucher. Autant dire que la fin de l'année fut un grand moment de solitude.
La troisième fois, 22 ans, avec trois copines, à l'automne sous des trombes de pluie, on a visité les églises, arpenté les petites rues, été à Murano, Torcello et au Lido. Toujours seule, et encore et encore cette faim de baisers partout dans cette cité des Doges. Retour à l'auberge de jeunesse, pas de vomi cette fois-ci, pas d'étreintes non plus.
Et puis la quatrième fois fut la bonne. L'homme m'y emmenée par surprise, pour nos dix ans, et m'a demandée en mariage au milieu de la place Saint Marc. Les violons, les pigeons, la chaleur, les odeurs, rien ne me semblera plus jamais plus romantique. Enfin, après tout ce temps, Venise et moi étions au diapason. (pour ceux qui voudraient savoir tout ça dans les détails, c'est là et là)
Si je raconte tout ça aujourd'hui, c'est parce que j'ai lu ce magnifique livre de Claudie Gallay dont j'avais adoré les déferlantes. Il raconte ce séjour, un mois de décembre, d'une femme qui part à la dérive, quittée par celui auquel elle était férocement attachée. Elle trouve refuge dans une maison d'hôte peuplée d'orginaux et se remet à aimer. Je crois que c'est mon cinquième séjour à Venise, en fait, tellement j'ai eu la sensation de marcher dans les pas de l'héroïne. A lire auprès d'un feu de cheminée par jour de grand vent, ou mieux, dans un Paris-Venise de nuit, histoire de se préparer...