"Au quotidien, ça va. Je gère plutôt bien mes envies, je ne me sens pas angoissée par la nourriture, je me fais plaisir et j'arrête à peu près tout le temps quand j'ai assez mangé. Mais là, par exemple, je pars en week-end chez des amis, je sais qu'on va faire la fête, qu'il n'y aura pas d'horaires pour les repas, qu'il y aura des tentations tout le temps et que je ne vais pas pouvoir faire comme chez moi, à savoir sortir de table quand j'ai terminé, pour éviter les tentations. Du coup, j'angoisse", expliquai-je la semaine dernière au docteur Zermati.
Ce à quoi il a répondu: "Il faut que vous vous fassiez confiance tout de même, maintenant. Que vous fassiez confiance à la régulation, surtout"
"Oui, vous allez probablement manger plus que d'habitude, à circonstances exceptionnelles, comportement alimentaire exceptionnel. Si vous pensez qu'il est possible de se nourrir en permanence en écoutant ses sensations, en mangeant exactement ce dont votre corps a besoin, vous vous trompez complètement. Les personnes qui ne font jamais un seul écart, qui ont une alimentation linéaire ont un problème, justement avec la nourriture. Ce sont eux qui sont déséquilibrés. D'ailleurs, très franchement, je n'en connais pas", a-t-il ajouté.
Quel soulagement encore une fois d'entendre ces choses là. La vie n'est pas un long fleuve tranquille et la bouffe non plus. Résultat, comme par hasard, j'ai passé deux jours tranquille, à ne me priver de rien, à ne surtout pas réfléchir à ce qui était en trop ou pas. Et à l'arrivée, pas de cata sur la balance.
Et quand bien même il y en aurait eu une de cata, je pense que ça se serait réglé, parce qu'en rentrant, pleine comme un oeuf de petits fours picard, de cannelés Baillardran, de champagne, de binouze et de pain surprise, j'ai eu une furieuse envie...
D'endives braisées.
Je sais, dingue.
Bref, ce que je suis en train d'essayer de comprendre et d'intégrer, c'est que la peur de regrossir me fera grossir. Ce que je comprends aussi, c'est que oui, c'est plus agréable de passer la soirée à danser en ayant la sensation d'être légère, oui, les compliments des amis pas vus depuis le meilleur de ma forme l'année dernière sont flatteurs. Mais non, ça ne change pas grand chose au plaisir qu'ils ont eu - ou pas - de me revoir et encore moins à celui que j'ai éprouvé moi.
Je comprends aussi, depuis les explications un peu scientifiques de docteur Z., que pour grossir comme je sais le faire, il faut souffrir de deux pathologies. La première est l'incapacité à gérer les émotions autrement qu'en mangeant. On en a déjà parlé, c'est indépendant de la volonté, un réflexe de pavlof, certains vont pleurer quand ils sont tristes ou inquiets, d'autres auront besoin d'un verre, d'autres d'une barre Milka. Parfois, on a même la chance d'avoir envie des trois à la fois. L'autre désordre, génétique, celui-ci, provoque une multiplication des cellules graisseuses, une multiplication irréversible qui fait évoluer le poids "de forme" inexorablement vers le haut. ça, tu l'as ou tu l'as pas. Les personnes qui n'ont pas cette mutation génétique, grossissent si elles mangent beaucoup, mais leurs cellules ne font que prendre du volume, volume qu'elles perdent dès que l'alimentation diminue. Les gens comme moi, eux, fabriquent des tas de copines à leurs adipocytes. Et c'est uniquement la combinaison de ces deux désordres qui entraine la prise de poids.
J'ajoute que d'après le docteur Z, si de plus en plus de gens sont obèses c'est aussi et tout simplement parce qu'au gré des guerres et des famines, les êtres non pourvus de la capacité à multiplier leurs cellules graisseuses, ont disparu, faute de pouvoir survivre. En gros, nous les gras, on est un peu des winners, des survivors. ça calme, non ? Comment que j'aurais aimé lui balancer au crétin qui voulait lancer un carothon pour me faire maigrir au collège...
Bref, seule solution pour enrayer le processus, agir sur les émotions. Pas sur les envies qu'elles déclenchent, une fois encore, ça, on n'y peut pas grand chose c'est un réflexe acquis depuis trop longtemps. Mais sur la naissance de ces émotions, comprendre dans quelles situations on est vulnérable, trouver la source du mal-être. C'est dans ce travail là que je suis désormais, un travail qui est beaucoup moins simple que le comportementalisme du départ ou que la reconnaissance de ses sensations. C'est une quête qui me ramène sur le chemin de mon enfance, de mon adolescence, et dont je ne sais pas exactement ce qu'elle va me permettre de trouver. Mais c'est passionnant et curieusement, j'ai en ce moment très peu de compulsions. J'ai aussi, et ça c'est encore mieux, plus d'assurance face à ceux qui habituellement me font perdre mes moyens (et ils sont nombreux, je suis une grande gueule des couloirs, je rappelle).
Bref, pas de magie dans tout ça, pas d'évidences, beaucoup d'introspection et parfois quelques illuminations qui m'aident à comprendre le pourquoi de certains goûters qui jadis duraient jusqu'au repas du soir...