On en était donc au moment où docteur Z m'annonçait qu'il allait me faire déguster un mars. (Et NON, despé, il ne faut pas y voir quoi que ce soit qui n'ait à voir avec un exercice didactique)
- Vous avez faim, là ?
- Non, pas vraiment.
- Tant mieux, le but est que vous mangiez sans faim, en l'occurrence. Vous êtes stressée ?
- En ce moment, je suis stressée 24/24, donc oui.
- Sur une échelle de 1 à 10, à combien évaluez-vous votre stress ?
- Je dirais... 5.
- On peut mieux faire ?
- Aisément...
- Alors on va être un peu maso et on va faire monter le stress.
Et me voilà les yeux fermés, un mini mars posé devant moi, en train d'écouter mon bon médecin jouer les cassandres et tel un télépathe, m'expliquer en quoi le sujet de mon angoisse pouvait en effet avoir des conséquences ultra angoissantes et négatives sur ma vie. Tant de perspicacité m'a d'ailleurs fait penser que malgré un grand nombre de patientes, il avait visiblement noté scrupuleusement ce que je lui racontais depuis ces derniers mois, en effet, ma mère, ma soeur, mon churros ou ma Zaz auraient pu me tenir le même discours. Troublant. J'ai bien essayé de faire diversion en le charriant sur le mode "j'ai bien fait de venir, en partant je me jette sous un pont, vous aurez ça sur la conscience", mais ça n'a pas marché, il a l'air gentil comme ça monsieur Zermati, m'enfin faut pas trop le chercher et le regard noir qu'il m'a lancé m'a calmée. Au bout de cinq minutes à visualiser très concrètement le tour que pourrait prendre ma vie dans les prochains mois si tout se passait pour le pire comme j'ai tendance à l'imaginer en grande optimiste que je suis, les larmes se sont mises à couler toutes seules et on peut dire que si l'objectif était de me mettre en panique, c'était réussi.
"Sur une échelle de 1 à 10, là, il est à combien le stress ?", m'a redemandé le médecin.
- 12.
Forcément, docteur Z, alias mister Hyde était ravi, on allait pouvoir commencer l'expérience.
Il m'a donc demandé de me concentrer sur ma respiration, sans pour autant vouloir la modifier, simplement penser au passage de l'air dans mon nez, ma trachée et ma poitrine. "Les pensées qui vous viennent à l'esprit, vous les notez intérieurement, puis vous revenez sur la respiration". Au bout de quelques secondes, il m'a tendu le mini mars, que j'ai sorti de son emballage (Despé, tu SORS). Il m'a fait le regarder, le humer, le toucher, puis en croquer une bouchée. "Maintenant, vous faites tourner le morceau dans votre bouche, vous en appréciez les différentes textures, vous en sentez l'odeur. Vous notez les goûts que vous percevez, le sucré du caramel, la douceur du chocolat. Là, vous pouvez le croquer, le macher et puis ensuite, l'avaler. Vous vous attardez sur le passage dans votre gorge de l'aliment et vous ne rouvrez les yeux qu'une fois que vous avez totalement absorbé ce que vous aviez dans la bouche", a-t-il psalmodié pendant que je me faisais clairement un shoot de mars.
Quand j'ai rouvert les yeux, il m'a semblé que mon pouls était plus lent que quelques secondes avant. Je n'avais croqué que quelques milligrammes de chocolat et pourtant j'avais la sensation d'avoir mangé le morceau entier. Le doc m'a fait reprendre une bouchée, en suivant le même rituel.
- Alors, à quel niveau maintenant, le stress ?
Le stress ? Qué stress ? Disparu, envolé, de manière totalement temporaire, j'en étais consciente, mais le fait était que je me sentais plus légère, pourtant lestée d'une bonne dizaine de calories.
Au passage, je venais de comprendre pourquoi j'aime les mars: tout simplement parce que c'est mortel, putain, ce chocolat qui craque sur le caramel qui coule, seigneur, pendez-moi haut et court.
"La différence entre ce que vous venez de faire, déguster un aliment dans l'objectif de calmer une anxiété, et une compulsion, c'est que lorsqu'il s'agit d'une compulsion, le stress ne diminue pas après l'ingestion, il augmente, ce qui occasionne la prise d'un autre gâteau, un autre carré de chocolat, un autre morceau de pain. La différence, c'est la pleine conscience dans laquelle vous avez mangé ce morceau de mars. Et quand bien même vous mangez tous les jours un mars entier en ce moment parce que les circonstances font que vous en avez besoin, ça n'est pas GRAVE. Parce que vous savez aussi que vous êtes en mesure de vous réguler. Que vous mangerez du coup probablement moins au repas d'après. Deux bouchées de mars ou autre n'auront aucun effet sur votre poids. A condition de ne pas vous y prendre comme un manche (Despé, je ne sais plus quoi faire de toi)."
Je suis repartie avec de nouveaux devoirs: noter mes émotions dans la journée, les nommer (colère, anxiété, culpabilité, tristesse), les noter de 1 à 10 et estimer la façon dont l'aliment ingéré en cas d'envie a réussi à faire baisser la tension.
J'avoue être assez perplexe, même après cette séance. Je sens qu'en effet, les choses compliquées commencent, et pas seulement parce que j'ai une bonne raison de me mettre la rate au court bouillon. Le temps des prouesses et du parcours de l'élève parfaite est passé, il s'agit désormais de vivre au long court, en acceptant l'idée de reprendre du poids (inéluctable parce que la vie n'est hélas ou tant mieux pas toujours un chemin pavé de fleurs), en réalisant que ça ne changera pas l'amour que les miens me portent et en arrêtant de diaboliser toutes les tentations qui inévitablement jalonnent mes journées.
Pas gagné et en même temps, pour le coup, tellement rassurant de savoir que rien n'est interdit...
Edit: Pas de panique, je ne suis pas malade, ni le churros, ni les enfants, ni qui que ce soit de proche. Je ne souhaite pas m'étendre plus, parce que voilà, tout n'est pas à dire ou raconter, mais pas d'inquiétude, rien qui ne soit irréparable.
Edit2: La photo, c'est un souvenir du massage chez Nuxe, rue Montorgueil, offert par ma chère Mimi pour mon annif (oui, j'ai été pourrie cette année, on peut le dire). Plus chère évidemment qu'un mars, mais effet zénitude garantie, durant l'heure pendant laquelle je suis passée par les mains expertes de la masseuse, je n'ai pensé à RIEN et c'était vraiment BIEN.