J'ai deux phobies. Prendre l'avion et parler en public. Sachant qu'entre tenir un micro devant plus de trois personnes et piloter un jet, je choisis direct le jet. C'est simple, la perspective de me retrouver en face d'un public me donne la réelle impression que je vais me dissoudre dans mes chaussures, après que mon coeur ait fini par lâcher.
La première fois que j'ai ressenti ce malaise, ça date des 65 ans de mariage de mes arrières grands-parents. Je devais avoir 11 ans. Comme j'étais bonne en rédaction, ma grand-mère, très fière de l'aînée de ses petites filles, m'avait annoncé, fière comme un pou qu'elle avait décroché pour moi LE premier rôle, celui de faire le compliment à Grand-papa et Grand-Maman, au nom de tous les arrières petits-enfants. Ceci devant une assemblée d'une centaine de personnes, la famille de ce côté là étant particulièrement nombreuse. Autant dire que les six soeurs de ma grammy également multi-grandpares étaient VERTES, ayant elles aussi pas mal de poulains tout aussi doués que moi.
Autant dire aussi que la pression est rapidement montée.
Je me souviens de ce discours écrit d'une main peu assurée et lu et relu dans le train qui nous emmenait en Normandie. Alors que je ne souffrais pas spécialement de timidité à l'école, j'ai senti au fil du trajet mon ventre se serrer. Et si je me ridiculisais ? Et si je les décevais, tous ces gens à qui ma grand-mère avait fait l'article ? Et si...
Une fois au milieu de l'immense salon, face à ces arrières pas encore croulants mais pas loin que je ne connaissais presque pas et à toute une ribambelle de tantes, oncles et cousins très chics (on est la branche qui n'a pas franchement réussi), je me suis retrouvée tétanisée.
Mais alors bien, hein. Plus de son, plus d'image.
La seule chose que je voyais était le visage désolé de ma grammy.
Après des secondes d'un silence plus que pesant, j'ai fini par marmonner quelque chose qui ressemblait à ça: "grand papa, grand maman, si vous n'aviez pas été là, on ne serait pas nés, alors merci". Point final. Du long discours probablement pas si mal rédigé - j'avais déjà une certaine emphase - rien n'a été prononcé. Je l'ai froissé dans ma main crispée et l'ai roulé en boule dans ma salopette en jean dont j'étais si fière mais qui m'avait valu deux minutes avant un "bonjour mon garçon" d'un oncle complètement con. Deux ou trois mois après, il n'aurait pas pu se tromper malgré ma nouvelle coupe courte, des seins en taille 95 B avaient poussé dans ma salopette en deux jours. Mais ça n'a rien à voir avec cette histoire.
Non, ce qu'il faut retenir, c'est que par la suite, je n'ai plus jamais su parler en public sans me rappeler cette humiliation et cette pauvre phrase idiote qui voulait tout de même dire en substance à grand-papa et grand-maman que s'ils n'avaient pas baisé comme des lapins pendant toutes ces années, on n'aurait pas été si nombreux pour leur anniversaire de mariage. Autant dire que ma grammy ne m'a plus jamais proposée pour quelque réunion de famille qui soit. Et qu'on n'a d'ailleurs plus jamais parlé de ce triste ratage.
Rideau, laissons à mes souvenirs d'enfance ce qui leur appartient.
Au fil des ans, j'ai tout essayé pour remédier à ce qui est devenu un véritable handicap. Et ce qui marche le mieux à priori sur moi ce ne sont pas les exercices de respiration mes fesses qui sont peut-être très efficaces quand on en est à quatre ou cinq centimètres de dilatation (sauf qu'à bien y penser ça ne m'a pas franchement aidée pour la venue d'Helmut) mais qui en l'espèce parviennent seulement à me faire frôler l'évanouissement pour cause d'hyperventilation.
Non, au risque de là encore briser un mythe, la seule chose qui fonctionne ce sont les bêtabloquants qui au moins suppriment un peu les effets du stress. Genre ton coeur veut s'emballer, le con sa race, mais y peut pas. Bon, le corollaire, c'est une légère atonie ainsi qu'une élocution un peu pâteuse. Mais entre ça et le souffle littéralement coupé, mon choix est fait.
Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que demain et après-demain j'anime non pas une mais DEUX tables rondes. Et là tout de suite maintenant, c'est un peu comme si on venait de me confier les clés d'un A380.
Alors si vous n'en avez pas assez d'user vos ondes positives, ne vous privez pas pour ondoyer un maximum vers 14h demain et 9h30 jeudi.
Ce blog retrouvera une activité normale une fois ces deux épreuves passées...