Je ne parle pas souvent ici ou même dans la vie de la gémellité de mes enfants. Depuis le départ, on était d'accord avec le churros, ça ne devait pas être un problème. Ni même un sujet. Oui, ils ont été conçus à la même seconde du fait que leur mère a cette capacité incroyable à double ovuler.
J'avoue je n'en suis pas peu fière.
N'importe quoi.
Bref, on ne les a jamais habillés pareil et le fait qu'ils soient fille/garçon a rendu cet aspect des choses assez naturel. On ne les a jamais non plus mis dans la même classe, pour qu'ils aient leurs propres amis, leur propre vie. Ils ne lisent pas les mêmes livres, ne font pas les mêmes activités extra-scolaires, ils se ressemblent physiquement mais pas plus qu'un frère et une soeur. Je ne les ai jamais appelés "les jumeaux" et je déteste que d'autres le fassent en parlant d'eux.
En somme, j'ai intégré comme une grande fille la règle de base selon laquelle ils sont deux êtres à part entière et non la moitié d'un oeuf séparé en deux (ce qui n'est concrètement pas le cas, ce sont de "faux" jumeaux, deux oeufs, deux liquides amniotiques, deux poches, deux spermatozoides, deux ovules).
Mais voilà.
Il y a la théorie et la pratique. Et la pratique, c'est qu'ils sont jumeaux. Qu'ils ont depuis la naissance toujours enchainé les maladies à deux jours d'intervalle et ce sans exception. Qu'ils ont tous les deux été opérés des amygdales et des végétations. Que lorsque l'un se casse le pouce, l'autre se brise la cheville. Qu'ils finissent les phrases de l'autre et se chamaillent comme seul un couple sait le faire. Qu'ils se détestent la plupart du temps mais errent comme des âmes en peine si l'un est parti un peu trop longtemps. Que bien que dans des classes séparées, ils ont peu ou prou toujours fréquenté les mêmes copains.
La pratique, surtout, c'est que le machin est un enfant que je qualifierais en toute objectivité de solaire et d'ultra populaire. Et que sa soeur est de la famille des introverties, option compliquée. Une fille, vous me direz. Oui mais le modèle perfectionné, if you see what I mean.
La pratique, enfin, c'est que je pourrais aujourd'hui arracher les yeux d'une petite fille qui ne m'a rien fait à moi mais qui cette année pour son anniversaire a invité toute la bande de copains du machin, mais pas sa soeur. Laquelle a encaissé le plus dignement du monde mais dont je me doute qu'à l'intérieur ça doit faire mal.
La pratique, c'est que depuis deux jours, je fais une vie d'enfer à mon fils, lui en voulant comme jamais je ne pensais lui en vouloir un jour, de ne pas avoir imposé sa soeur dans la fête. D'avoir choisi l'amoureuse potentielle contre sa... jumelle. (oui je sais).
La pratique c'est que ça me ronge à l'intérieur, que je ne sais pas déméler ce qui relève du bon vieux transfert (sauf que petite j'étais dans le camp des populaires, rarement zappée d'un anniversaire) et de la louve-attitude qui veut que toute mère abusive qui se respecte ne sait absolument pas se contrôler quand on fait du tort à son bébé.
La pratique enfin, c'est que toujours dans cette logique de mère juive, je me suis fendue d'un sms faussement innocent à la mère de la messaline en question sur le mode "juste pour être sûre, seul le machin est invité, ou sa soeur également ?".
Et que j'ai reçu une réponse salée, probablement méritée, m'expliquatnt que cette année, non, elle n'avait pas insisté auprès de sa fille pour qu'elle invite la mienne, qu'à dix ans les enfants étaient capables d'assumer leurs choix après tout et qu'elles n'étaient plus amies et puis c'est tout.
J'ai retenu du message que l'année dernière, donc, déjà, ma toute petite fille d'amour, qui vient de mon ventre et que je voudrais pouvoir y remettre là de suite, avait fait l'objet d'âpres négociations et invitée sous la menace. Ce qui n'a pas arrangé mon problème.
Et qui m'a amenée à répondre sans mesquinerie aucune (pas mon genre): "pas de problème, c'était juste pour vérifier, j'avais fait deux cadeaux, c'est tout".
Tout ça pour dire que la gémellité c'est un truc super compliqué. Que si la chérie et le machin n'avaient ne serait-ce qu'un an d'écart, jamais je n'aurais sur-réagi de la sorte, jamais je n'aurais pris pour une trahison cette exclusion. Et qu'aujourd'hui, je suis partagée entre la culpabilité d'avoir été si dure avec mon machin qui n'est après tout qu'un petit garçon de dix ans un peu égoïste (un garçon, donc) et la douleur de voir sa soeur écartée comme une vulgaire chaussette.
Et que je tremble à l'idée que le scénario ne se rôde année après année, que l'un soit heureux et l'autre non et que je puisse en vouloir à celui qui tirera son épingle du jeu d'avoir laissé l'autre sur le bas-côté.
On dit petits enfants petits soucis, je commence à entrevoir ce que ça peut signifier.
Edit: Des poncifs sexistes se sont glissés dans ce texte, sauras-tu les retrouver ?
Edit2: Toutes les personnes souhaitant aller dans mon sens et balancer quelques méchancetés sur ma future belle fille sont les bienvenues.
Edit3: Les autres sont priées de s'abstenir.